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positive, la décision opportune, qui sont les qualités caractéristiques de l’esprit moderne.

Il faut convenir que, si le gouvernement prussien apporte dans ses prétentions une netteté impérieuse, la guerre a été conduite par lui avec une sûreté et une fermeté d’action rares. Derrière le gouvernement prussien, et quelles que soient les défectuosités constitutionnelles de ce gouvernement, il y a un vrai peuple moderne. On sent bien là une nation fécondée par les travaux intellectuels et par les travaux matériels d’une industrie avancée, assouplie à une savante discipline militaire, et sachant appliquer jusqu’à son armement quelque chose de la précision scientifique. À la façon dont la Prusse a fait la guerre, on voit toute la maturité d’une ambition énergique préparée de longue main, et qui a réduit autant que possible par ses prévisions les chances qui pouvaient lui être contraires. La façon dont la Prusse s’est assuré le succès militaire ne peut manquer de saisir l’imagination des populations allemandes. On attribue au général de Moltke le plan de la campagne que les Prussiens viennent de couronner par la victoire de Sadowa ; quel que soit le mérite du plan, l’exécution en a paru plus remarquable encore ; les généraux, à qui appartient la tactique des combats, ont montré une grande sûreté, et il faut rendre surtout justice à cette armée recrutée de soldats qui savent lire, et dont le plus grand nombre venait à peine de quitter les travaux de la vie civile. L’incontestable prestige qui s’attache maintenant à l’armée prussienne rend plus redoutables les visées de la cour de Berlin. On dit que les conditions que cette cour met à la paix seront modérées ; nous craignons que la modération ne soit que dans la forme et l’apparence. Ainsi on assure que les scrupules légitimistes du roi de Prusse le rendront très coulant sur les questions territoriales. Le roi consentirait, dit-on, à laisser aux chefs des petits états leur souveraineté nominale, il laisserait régner tous les petits princes, il ne contesterait point aux états secondaires l’autonomie administrative ; mais que deviendrait dans la réalité ce respect des souverainetés nominales ? La Prusse, en excluant l’Autriche de la confédération, entend justement éliminer l’influence sur la rivalité de laquelle les petits états étaient habitués à compter pour la protection de leur indépendance. La Prusse veut avoir l’hégémonie diplomatique et militaire de l’Allemagne du nord ; disposant des troupes, ne sera-t-elle pas maîtresse en réalité des populations et des territoires ? Mais, ajoute-t-on, la Bavière aura dans le sud de l’Allemagne une position analogue pour la direction des affaires militaires et diplomatiques : la Bavière et les états du sud formeront-ils un contre-poids sérieux au groupe du nord, dominé par la Prusse ? L’hégémonie prussienne, par sa prépondérance et son prestige, ne fascinera-t-elle point à la longue le groupe du sud ? Il y aura, conclut-on, un parlement fédéral représentant de l’autorité de l’Allemagne collective : connaît-on un moyen d’empêcher que la Prusse ne soit en tout cas assurée de la majorité dans