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LE DERNIER AMOUR.

forte et vaillante comme dix hommes, et quant au dépit, elle a l’âme trop haute pour savoir ce que c’est. Descendez donc chez nous, et dans huit jours nous reparlerons de ça. On doit toujours à une personne qui vous aime de réfléchir et d’examiner.

Je dus promettre ; mais, avant de quitter Morgeron, je voulus savoir si sa sœur lui avait fait confidence de ses sentimens, et si ce n’était pas tout simplement un rêve qu’il avait fait lui-même.

— Ce n’est pas un rêve, dit-il ; mais je n’ai reçu aucune confidence. Avant que Félicie se décide à avouer qu’elle aime quelqu’un, elle qui depuis quinze ans se moque de l’amour des autres et le méprise, il lui faudra arracher le cœur de la poitrine.

— Mais alors comment savez-vous ?…

— Je sais parce que Tonino sait, et me l’a dit.

— Tonino ? elle l’a pris pour confident ?

— Oh ! non pas ! mais il lit en elle comme dans un livre. Il est plus fin que nous tous ; il sait tout ce qu’elle pense, même quand elle dit le contraire de sa pensée.

— Et pourquoi Tonino a-t-il trahi le secret qu’il a cru surprendre ?

— Parce qu’il l’aime comme sa mère et veut qu’elle soit heureuse.

— Alors tout ce que vous m’avez dit et proposé ne repose que sur une hypothèse née dans le cerveau de cet enfant ? Eh bien ! tout malin qu’il est, je crois qu’il a pu se tromper et prendre le fantôme de sa propre jalousie pour une certitude.

— Vous le croyez jaloux de sa mère adoptive ?

— Pourquoi non ? Les fils réels sont jaloux de la tendresse de leurs mères.

— Ça, c’est possible ; les chiens sont bien jaloux de leurs maîtres ! Médor est fâché contre moi quand je caresse mon cheval ; mais la jalousie des enfans, ça s’apaise avec de l’amitié. En tout cas, votre réflexion a du bon ; Tonino a peut-être rêvé. Revenez donc, vous y verrez juste, vous, et nous aviserons.

Il s’en alla en se retournant à plusieurs reprises pour me crier : vous viendrez demain ? vous l’avez promis, vous l’avez juré !

Il était visiblement inquiet des conséquences de sa précipitation. Le brave homme avait cru que rien n’était plus simple que de me fiancer avec sa sœur, et, en optimiste entreprenant qu’il était, il n’avait pas douté que ce ne fût le moyen de me retenir à jamais auprès de lui. En s’apercevant du contraire, il se reprochait d’avoir parlé, et au bout d’un quart d’heure de descente, il remonta pour me dire : — En y réfléchissant, je crois bien que vous avez deviné la chose. C’est le petit qui aura imaginé cela pour savoir ce qui en est et ce que j’en pense.