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Et plus loin : « Quoique Dieu m’a fait naître dans le rang que j’occupe aujourd’hui, je ne puis m’empêcher d’admirer l’arrangement de la Providence, qui m’a choisie, moi, la dernière de vos enfans, pour le plus beau royaume de l’Europe. Je sens plus que jamais ce que je dois à la tendresse de mon auguste mère, qui s’est donné tant de soins et de travail pour me procurer ce bel établissement. Je n’ai jamais tant désiré de pouvoir me mettre à ses pieds, l’embrasser, lui montrer mon âme tout entière, et lui faire voir comme elle est pénétrée de respect, de tendresse et de reconnoissance[1]. »

« Quel bon peuple que les François ! » disait-elle à son entrée en France. « La nation est excellente, dit-elle ailleurs; les critiques et oppositions de mon frère ne font que me renforcer encore dans ces idées. » Plus tard, les élémens de sympathie sont les mêmes.

Que veut-on de plus? Mais quoi! préoccupé d’une pensée d’opposition, on la porte à son insu jusqu’à l’extrême pour achever, s’il est possible, de jeter le doute sur l’authenticité de documens sincères et de déprécier un recueil qui n’a contre lui que le tort impardonnable du succès.

« Prêter à Marie-Antoinette un sentiment libéral, ardent, exclusif, de nationalité française, ajoute M. Geffroy, serait une de ces fausses vues qu’ont autorisées les récentes publications suscitées par la généreuse réaction de notre temps en faveur de sa mémoire. » A la bonne heure : n’exagérons rien de part ni d’autre. Si l’union constante des deux cours de France et d’Autriche n’a cessé de paraître à Marie-Antoinette la condition de leur salut; si jamais elle n’a fait difficulté d’admettre un grand nombre d’étrangers à la cour de Versailles, qu’y a-t-il là d’anti-français? Cette vieille France, l’étranger le sait à merveille, a toujours été l’Eldorado de ce qui vient du dehors. L’affluence des étrangers, souvent même à l’exclusion des nationaux, a toujours été l’un des attributs de notre hospitalité de cour sous toutes les monarchies. Eh! mon Dieu, Française! l’infortunée reine l’a été par sa fille, par ses deux dauphins; elle l’a été même par ses défauts comme par ses qualités; elle l’a été par son caractère, par sa grâce, par son charme, par la mobilité de son esprit. Elle ne demandait pas mieux que de s’assimiler de tout son être aux entrailles du pays. Elle a été tout ce qu’elle devait, tout ce qu’elle pouvait se montrer selon son cœur et selon sa chair au milieu des épouvantables circonstances sous lesquelles était comprimé l’essor de ses sentimens. Elle avait ses préjugés d’éducation, elle

  1. 14 mai 1774. Arneth, p. 107.