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suivez sans hésiter et avec confiance tout ce qu’il vous dira ou exigera. » Mercy! toujours Mercy! Est-ce que le retour incessant de pareils avis n’est pas la preuve que la dauphine, que la reine ne s’y conformait pas; qu’en un mot elle était trop Française pour la cour de Vienne, qui tentait par tous les moyens de la séduire et d’en faire un des ressorts, une des sentinelles avancées de sa politique à Versailles, et qui n’y réussissait qu’en vaines paroles?

Joseph II, avant d’avoir visité la France, qu’il quitta plein d’étonnement et d’une sorte de jalousie, avait, encore plus que son père, des préjugés contre la nation, et surtout contre les mœurs de la cour de Versailles. En quittant le pays, il exprima d’une manière très nette et très vive l’estime qu’il emportait pour la personne de sa sœur.

« L’empereur, écrivait Marie-Thérèse à Marie-Antoinette, a été touché de vous goûter. Il trouvoit une grande douceur dans votre conversation et amitié. Je ne le trahis pas en mettant ses propres paroles, que je ne pourrois jamais rendre si bien :

« J’ai quitté Versailles avec peine, attaché vraiment à ma sœur. J’ai trouvé une espèce de douceur de vie à laquelle j’avois renoncé, mais je vois que le goût ne m’avoit pas quitté. Elle est aimable et charmante; j’ai passé des heures et des heures avec elle sans m’apercevoir comment elles s’écouloient. Sa sensibilité au départ étoit grande, sa contenance bonne; il m’a fallu toute ma force pour trouver des jambes pour m’en aller[1]. »

Vingt jours avant cette lettre de l’impératrice, Joseph lui-même, s’ épanchant en toute familiarité dans une lettre à sa sœur Christine, lui avait dit :

« La reine est une femme charmante en vérité, et sans sa figure elle devroit plaire par sa façon de s’expliquer et l’assaisonnement qu’elle sait donner à toutes les choses qu’elle dit[2]. » Et plus tard : « Je suis charmé que la reine et ses enfans se portent bien ; mais elle est un peu francisée, et du bon gros allemand il n’y a plus que la figure[3]. »

Ne trouve-t-on pas encore dans les lettres de Marie-Antoinette à sa mère et à sa sœur des mots qui prouvent combien elle était ravie d’être devenue Française? « Je sens tous les jours de plus en plus ce que ma chère maman a fait pour mon établissement. J’étois la dernière de toutes, et elle m’a traitée en aînée; aussi mon âme est-elle remplie de la plus tendre reconnoissance[4]. »

  1. Schlosshof, 29 juin 1777. Arneth, p. 212.
  2. 9 juin 1777, page 17 de mon troisième volume.
  3. 31 août 1786, page 141 de mon troisième volume.
  4. Arneth, p. 99, 14 juin 1773.