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n’était pas toujours aussi poli pour ces reines de la main gauche) avec toute la réserve que vous m’aviez recommandée. On m’a fait souper avec elle, et elle a pris avec moi un ton demi-respectueux et embarrassé et demi-protection. Je ne me départirai pas de vos conseils, dont je n’ai pas même parlé à M. le dauphin, qui ne peut la souffrir, mais n’en marque rien par respect pour le roi. Elle a une cour assidue, les ambassadeurs y vont, et toute personne étrangère de distinction demande à être présentée. J’ai, sans faire semblant d’écouter, entendu dire sur cette cour des choses curieuses : on fait foule comme chez une princesse; elle fait cercle, on se précipite, et elle dit un petit mot à chacun. Elle règne. Il pleut dans le moment où je vous écris : c’est sans doute qu’elle l’aura permis. »

Après ce portrait ironique où perce tout le déplaisir qu’elle se sent au cœur contre « la créature, » elle ajoute avec la mobilité de son bon naturel : « Au fond, ce n’est point une méchante femme; c’est plutôt une bonne personne, et l’on m’a dit qu’elle fait beaucoup de bien à de pauvres gens. » Cette bonhomie de jugement si fort explicable chez une jeune femme douce par excellence et qui n’avait de malice que sur les lèvres ne la rendit cependant pas prodigue d’avances pour Mme Du Barry, laquelle de son côté s’efforçait de lui aliéner le roi et ne l’appelait devant lui que la Petite Rousse. Son propre instinct, l’orgueil de race et de rang, d’accord avec l’exemple du dauphin, l’emportèrent. Cependant à la longue la difficulté sembla s’aplanir tant bien que mal, sans que de part ni d’autre on y mît beaucoup du sien.

Voilà donc cette lettre si criminelle aux yeux des critiques. Et vraiment il y a lieu de s’émerveiller de leur appréciation. Que reproche-t-on à la lettre? D’être de ton plus précis et plus littéraire qu’il n’appartient à l’inexpérience de la jeune dauphine. A la bonne heure; mais la pensée est sienne; mais l’amère ironie jetée sur cette cour de hasard va bien à la hauteur de cœur de Marie-Antoinette; mais la lettre n’offre rien qui ne soit selon la portée de la plume mythologique correspondante de Rosenberg; mais, si la main de la dauphine a été aidée, nous savons par qui. Marie-Thérèse avait insisté pour bien faire comprendre à sa fille qu’elle n’exigeait de sa dignité aucun sacrifice de familiarité, encore moins de bassesse. Elle n’a demandé qu’une parole indifférente et de certains regards, non pour la dame, mais pour le roi. L’impératrice n’a plus à se plaindre, la dauphine est restée dans la réserve conseillée par sa mère; elle n’a fait ni trop ni trop peu en traitant avec politesse le parti dominant et la favorite. En résumé, la lettre a toute la vérité morale, toute la vérité historique désirables? En conscience, il fait beau s’étonner du jugement que la générosité charitable de Mme Du