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la composition comme le faire de tel ou tel maître, de même l’étude intime d’une pièce, l’accord du style et de toutes les circonstances qui se rattachent au document, la critique historique et littéraire en un mot, fournissent des élémens de certitude tout aussi concluans pour ou contre l’authenticité que l’examen matériel du papier, de l’encre, de l’écriture même. Assurément la physionomie d’une pièce a son éloquence propre; mais la logique des faits mis en rapport avec l’expression a une valeur aussi considérable. Abordons ce nouveau terrain.


IV.

« En face de la vie réelle, a dit l’auteur des deux articles critiques auxquels je réponds, la vraie Marie-Antoinette a l’expression forte et grave. Elle sent vivement et elle écrit de même, soit qu’elle rende sa profonde et inébranlable affection envers sa mère ou ses propres sentimens maternels[1]. » Oui, sur ces derniers sentimens, le jugement est juste. Il y a de M. de Lescure un mot déjà remarqué, mot que j’aime et qui porte coup, parce qu’il est vrai : « Marie-Antoinette fut une grande mère[2]. » Elle le fut en effet, non pas seulement le jour qu’elle eut à disputer son second dauphin à des bourreaux calomniateurs et qu’elle en appelait d’eux à toutes les mères, mais dès les premiers temps, bien avant le calvaire, alors qu’elle tenait ses trois enfans sous son aile, alors qu’elle écrivait pour Mme de Tourzel cette admirable instruction si pleine de tendresse et de sagacité. Quant à l’autre partie du jugement qui se rapporte aux premières années de Marie-Antoinette en France, n’oublions pas qu’il s’agit de la correspondance de la dauphine, de la jeune reine avec l’impératrice, et qu’on y chercherait en vain cette a profonde et inébranlable affection filiale » dont parle un peu complaisamment le critique. Comment oublier en effet que « Marie-Thérèse, imposante par ses grandes qualités, inspirait aux archiduchesses plus de crainte et de respect que d’amour? C’est au moins, ajoute Mme Campan, dont nous empruntons les paroles, ce que j’ai remarqué dans les sentimens de la reine pour son auguste mère[3]. »

Respect, vénération, culte même, si vous le voulez, mais crainte et non pas tendresse, voilà ce qu’il eût fallu dire pour être dans le vrai.

La grande âme de l’impératrice a dominé sa famille et son empire pendant un règne de quarante années qui parcourut avec calme et fermeté une révolution d’éclat et de revers. Sa vivante et

  1. Revue des Deux Mondes, n° du 15 septembre 1865.
  2. La vraie Marie-Antoinette, p. 11, 45 et suivantes.
  3. Mémoires, t. Ire, p. 37.