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dre de Saint-Michel avant d’arriver à celui du Saint-Esprit. De là cette qualification de chevalier ou cordon des ordres quand on était en possession de l’un et de l’autre. Mais les prélats étaient dispensés de suivre cette filière, ils recevaient d’emblée le Saint-Esprit et n’avaient point Saint-Michel. M. de Rohan avait donc de droit, en sa double qualité de cardinal et de grand-aumônier, le collier de commandeur de l’ordre suprême, et dès-lors il ne pouvait avoir à rendre un cordon qu’il n’avait point reçu. La distinction est énoncée en grosses lettres aux statuts, cela est incontestable autant que minutieux; mais il n’en est pas moins incontestable aussi qu’il fallait imprimer ce que j’ai imprimé pour être conforme au texte de la lettre du roi. La critique tombe sur Louis XVI, pour lequel je demande indulgence. Sa lettre offre d’ailleurs les caractères les moins douteux de l’authenticité, y compris le cachet royal, très bien conservé.

Il y a une égale témérité à soutenir que Louis XVI n’a pas pu écrire qu’il a assisté à Paris à la première représentation de l’Iphigénie en Aulide de Gluck, attendu « qu’il n’alla point au spectacle de Paris avant d’être prisonnier dans cette ville (c’est M. Geffroy qui parle), sans doute, ajoute-t-il, par un effort de réaction morale contre le règne de Louis XV. » A une lettre d’aussi flagrante authenticité, prise par le conventionnel Courtois dans les papiers de la maison du roi, opposer les Mémoires de Bachaumont et l’Almanach des spectacles ne suffit pas à établir que le roi n’a pas assisté, comme il le fit par égard pour la reine, à la représentation. Marie-Antoinette parut accompagnée de Monsieur, du comte d’Artois et de leurs femmes; mais il faut remarquer que cette princesse, qui se faisait voir pour la première en public après le deuil de Louis XV, ne parut point dans la grande loge royale, au fond de laquelle pouvaient pénétrer tous les regards, mais en demi-incognito, en seconde loge. Un curieux de Londres possède une lettre de Gluck constatant la présence du roi, qui, à raison du deuil encore trop récemment déposé, avait voulu garder l’incognito complet. Les notes du temps mentionnent la reine, ses beaux-frères et belles-sœurs, mais elles s’abstiennent sur le roi, parce qu’il avait voulu qu’on s’abstînt. Pas une ne dit formellement : le roi n’y était pas. Il est bien possible du reste, ce qui ne ferait rien à la question, que Louis XVI n’assistât à la représentation que par pure complaisance pour la reine, car il n’avait pas de lui-même un grand entraînement pour les beaux-arts. Au surplus avait-il donc d’une manière aussi absolue les scrupules antithéâtraux que lui prête le critique, ce prince qui de Versailles accompagnait la reine au bal de l’Opéra, bien autrement en dehors de ses mœurs austères qu’un spectacle purement lyrique?