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Ce n’était pas un éloignement ordinaire que Violante ressentait pour lui ; il aurait dû s’en douter plus tôt. Lorsqu’il l’avait rencontrée le mois passé dans l’avenue près de la croix de pierre pour la dernière fois peut-être, comment n’avait-il point cherché une cause à la force de son indignation et de ses alarmes ? Il lui avait demandé : — Que craignez-vous de moi ? — Tout, avait-elle dit. Oh ! la dure parole ! mais il la comprenait à cette heure. Violante en effet craignait tout de lui, puisqu’il semait, sans le vouloir, un redoublement de folie sur son passage.

Il retourna vers la porte entr’ouverte. Il étouffait. Quelle nuit ! Pas une lueur au ciel. Les noires nuées, poussées par la marée qui montait au loin dans le bas de la rivière, couraient toutes gonflées de pluie au-dessus de la chênaie ; le vent grandissait, de larges gouttes d’eau fouettaient déjà les toits du village, se mêlant comme des larmes à ce gémissement éternel. Debout sur le seuil de la chaumière, recevant cette lourde pluie sur le front, insensible à tout, Lesneven songeait encore ; il se demandait si Violante croyait à la légende. — Non, elle n’y croyait pas ; son âme était trop droite, sa raison trop sûre ! Non, elle n’acceptait point ce roman puéril et sombre, elle ne faisait que le subir durement sans doute, en protestant tout bas. Ce nom de Lesneven ne lui faisait pas peur ; elle ne voyait pas en lui, comme tous ces insensés qui l’entouraient, le messager du destin ; elle ne voyait qu’un malheureux qui souffrait à cause d’elle. Peut-être même lui eût-elle pardonné son aveugle passion, mais la légende était là, et quand la jeune femme eût voulu lui montrer du moins un peu de pitié l’odieuse légende parlait et Violante était forcée de le haïr.

Hélas ! devait-il croire qu’elle ne le haïssait que par force ? Pouvait-il bien se flatter que la nécessité toute seule lui imposait cette dureté amère dont il l’avait vue sans cesse armée contre lui ? Il eût été presque beau de penser qu’en d’autres circonstances elle aurait voulu du moins lui être plus douce ; mais non ! si faible et si vide que fût cette consolation, Lesneven n’osait encore en repaître son cœur. Il rappelait l’image de Violante devant ses yeux, il se retraçait ce beau visage de glace tel qu’il lui était apparu, quatre mois auparavant, près des charmilles du manoir, le mois passé près de la croix. — Non, non, se disait-il, elle ne saurait faire l’aumône d’un peu de compassion, même à ceux qu’elle n’aime point. Sa bouche n’a jamais eu de sourire que pour un seul homme, son âme n’a jamais eu de chaleur que pour le malheureux qu’elle veille là-bas, seule, sans vouloir de secours, et qu’elle se flatte encore de guérir. Et il pensa que, lorsque le marquis ne serait plus. Violante aimerait encore son souvenir et son ombre, que