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qui le déchiraient, mesurant la haute muraille qui se dressait sur l’autre bord et la perçant des yeux. — Enfin il s’arrêta les mains toutes sanglantes ; il venait d’apercevoir ce qu’il cherchait, — une brèche dans ce mur ; puis il réfléchit une seconde et hardiment descendit dans la douve. Sans doute il ne songeait pas à pénétrer comme un larron dans ce sombre Croix-de-Vie, il ne voulait que se hisser jusqu’à cette brèche, et de là faire courir un moment son àine et son regard jusqu’à la partie du château habitée par celle que depuis un mois il n’avait pu revoir.

Il savait que l’appartement de la jeune marquise était situé dans l’aile gauche. C’est là que depuis un mois Violante priait, veillait, pleurait auprès de ce mari qu’elle avait assez aveuglément aimé pour se flatter de le guérir. C’en était fait à présent de cette illusion orgueilleuse ! La fée blanche et blonde, malgré sa puissance magique, n’avait pu charmer ni vaincre le mal mystérieux qui frappait ce débris vivant d’un autre âge ; le dernier des Croix-de-Vie était fou, bien fou comme ses pères. Et Violante, qui s’était vouée à son salut d’abord, puis à sa garde, demeurait enfermée avec lui dans cette tombe, combattant sans relâche ce furieux délire ; mais cette lutte inhumaine ne pouvait être éternelle, et la marquise Violante allait être délivrée bientôt en dépit d’elle-même. Lesneven, agitant cette pensée comme un flambeau qui éclairait le chemin devant lui, marchait lestement dans la douve sur les buttes de terre recouvertes d’herbes ou d’osier qui s’élevaient au-dessus de l’eau bourbeuse. Il sautait ainsi d’îlot en îlot, il allait atteindre le pied du mur, le flot coulait plus profond autour de lui. Le jeune homme tout à coup poussa une exclamation de surprise ; ses yeux venaient de rencontrer comme un large scintillement d’acier sous l’eau, il se baissa : là il y avait une épée, puis un fusil dont le canon brillait et dont la crosse avait disparu dans la vase. On eût dit tout le harnais de guerre d’un vieux chouan, jadis noyé dans ces fossés. Telle fut en effet la première idée qui vint à l’ancien garde-général, mais il l’abandonna presque aussitôt. Seize ans écoulés depuis la dernière guerre auraient changé l’acier de cette lame en un informe tronçon rongé par la rouille. Lesneven d’ailleurs, étendant la main, saisit à fleur d’eau, dans une touffe d’osier, le manche en argent ciselé d’un poignard qui n’avait jamais été une arme de combat, et dont la pointe s’était enfoncée dans les racines de l’arbrisseau ; près de ces racines, sous le flot épais, gisait un amas d’armes de toute sorte, quelques-unes curieuses et de grand prix, comme ce poignard. Comment ces armes étaient-elles là ? C’est qu’une main vigoureuse les avait lancées en un faisceau du haut de ce mur. Cette étrange exécution ne datait sans doute que