Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
LA GUERRE EN 1866.

somme, soit à 24,500 dollars. Si nous supposons au contraire la plantation exploitée par cent ouvriers affranchis, travaillant à la journée pendant huit mois de l’année et coûtant chacun 30 dollars par mois (évaluation fort exagérée, comme on va le voir plus loin), cette plantation ne coûtera que 24,000 dollars par an comme main-d’œuvre, c’est-à-dire 500 dollars de moins que dans le système précédent, et cela sans faire courir au planteur aucune chance de mortalité, avantage immense et facile à apprécier. Ce n’est pas là le seul bénéfice : ces ouvriers feront un travail plus considérable, et élèveront très probablement de 30 pour 100 le rendement de la terre qu’ils cultiveront.

Nous ne basons pas ces calculs sur de simples hypothèses ; nous avons sous les yeux le tableau des heureux résultats obtenus dans l’Arkansas sur une plantation de 1040 acres de superficie exploitée au moyen du travail libre avant la fin de la guerre. Cette plantation occupait 117 hommes de couleur, dont beaucoup avaient femme et enfans. Ils ont été employés à la journée pendant 6 ou 7 mois chaque année ; le salaire a varié entre 16 et 25 dollars par mois, suivant les aptitudes de chaque individu. Ils ont fait beaucoup de besogne, et l’ont bien faite ; ils auraient travaillé davantage sans la peur qu’ils éprouvaient d’être capturés par les guérillas du sud, qui infestaient encore le pays. Cette crainte les décidait souvent à passer plusieurs jours et plusieurs nuits dans les bois, laissant la plantation à l’abandon. Dans ces conditions défavorables, la dépense ne s’est pas élevée à plus de 30 dollars par acre, y compris le loyer du terrain, les taxes, les faux frais. En adoptant comme base ce chiffre, donné par M. le docteur Landon, d’Helena, dans un travail adressé au gouvernement américain et consigné dans un document officiel, le Report of the commissioner of agriculture, ainsi que le rendement moyen de 3 quintaux 1/2 de matière textile (nette de graines) par acre ordinaire, on trouve que le quintal de coton pourra se vendre 55 francs sur la plantation. Si on ajoute à ce prix celui du transport, on voit que le coton vaudra environ de 56 à 60 fr. le quintal rendu au port d’embarquement. C’est 18 fr. de moins que le cours moyen actuel du coton aux États-Unis. Encore ce prix de main-d’œuvre est-il établi sur les résultats d’une exploitation à ses débuts, installée dans un pays mal pacifié, et ne disposant que d’un matériel rudimentaire. Il ne peut que s’abaisser dans de notables proportions.

Il y a pour les États-Unis une ombre à ce tableau, un danger à conjurer. Ce danger, c’est l’émigration en masse des nègres du sud vers le far-west ou vers les états du nord. Les nègres seraient très difficiles à remplacer sur les plantations, ce sont presque les seuls