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LA GUERRE EN 1866.

avant peu exporter des quantités immenses de coton. Dans un an, la production normale serait rétablie, et au-delà ; on aurait même gagné de pouvoir se passer des Américains, à qui on avait un peu imprudemment laissé accaparer le monopole de la production cotonnière. Il se mêlait à ces calculs et à ces espérances des sentimens peu sympathiques pour la grande république américaine. Les gouvernemens eux-mêmes partageaient la sécurité générale sur les résultats économiques que la guerre de sécession allait entraîner pour l’Europe. Guidés par des considérations politiques que nous n’avons pas à discuter ici, ils s’empressaient de reconnaître aux rebelles le titre et les droits de belligérans. Ils donnaient ainsi à l’insurrection, en même temps qu’une certaine force morale et une sorte de légitimité, des moyens d’action puissans, la possibilité d’agrandir et de prolonger la lutte. Les intérêts que compromettait si gravement cette mesure la laissèrent cependant passer avec une sorte d’indifférence. Les événemens allaient se charger de secouer cette torpeur des esprits. Bientôt le manque de coton prit les proportions d’une calamité publique ; la misère dans les districts manufacturiers devint effrayante, et en dehors même des chômages désastreux qui réduisaient des milliers d’ouvriers à la famine, les troubles les plus graves survinrent dans toutes les branches du commerce européen. Nous avions dès 1861 prévu ces tristes résultats. En présence des calculs optimistes de la presse anglaise, du silence de la presse française et de l’attitude des gouvernemens, nous avions essayé de montrer que la levée de boucliers de ces esclavagistes, objet de tant de complaisances, n’allait à rien moins qu’à nous ruiner. On ne nous écouta point. Aujourd’hui l’opinion publique a semblé passer d’un excès à l’autre. Elle exagère les craintes, comme elle avait exagéré les espérances ; elle semble croire que les prix du coton ne baisseront pas, elle craint que la suppression du travail servile et l’insuccès des tentatives faites pour remplacer les États-Unis comme centre producteur ne maintiennent les cours élevés et quelque peu extrêmes que nous subissons aujourd’hui. Telle n’est pas notre opinion, et nous allons en donner les motifs. Quel avenir est réservé à la production cotonnière dans les diverses contrées du globe où on a essayé de l’acclimater depuis la rébellion ? quelle sera l’influence de l’abolition de l’esclavage sur le rendement en coton des plantations des états du sud ? Voilà les deux points que nous allons examiner. Comme dans l’étude que nous avons déjà consacrée à la crise cotonnière[1], nous ne nous appuierons que sur des faits bien établis et sur des chiffres. En ma-

  1. Voyez la Revue du 1er  mars 1861.