Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
REVUE DES DEUX MONDES.

rope ou du moins, si l’on doit voir encore des guerres qui durent, on peut être certain que le cours en sera nécessairement interrompu par des trêves plus longues que les périodes mêmes des opérations actives. Le développement de la richesse générale, le perfectionnement de la viabilité et des moyens de transports, les progrès extraordinaires que la science a fait faire à la puissance destructive des engins de guerre, permettent de réunir sur le champ de bataille des masses d’hommes dont on n’avait pas l’idée autrefois, de préparer des chocs auprès desquels les plus terribles batailles des temps passés semblent presque d’innocentes idylles ; par contre, ce sont des efforts que ni vainqueurs ni vaincus ne peuvent soutenir pendant longtemps. Les pertes d’hommes et de matériel qui se font en quelques jours trouvent bientôt leur terme dans l’épuisement tout au moins momentané des parties. L’esprit recule d’abord effrayé à la seule pensée de ces hécatombes épouvantables. Cependant, en allant au fond des choses, on ne sait s’il faut regretter les conditions où jadis se faisait la guerre. Aujourd’hui l’on immole sans doute plus de monde en moins de temps sur le champ de bataille ; en revanche le nombre de ceux qui mouraient lentement et obscurément de toutes les maladies que les armées traînent à leur suite, ce nombre est infiniment moindre. Le général Préval calculait que dans le système des guerres anciennes il fallait compter pour un homme frappé dans l’action au moins deux autres hommes qui périssaient de maladie dans les hôpitaux ou dans les fossés des routes ; mais pour produire l’épuisement qui forçait enfin les adversaires à la paix, il fallait un temps infiniment plus long, temps de cruelles misères pour ceux qui étaient enlevés par les armées, et aussi pour les peuples. En définitive, pour arriver au but de la guerre, c’est-à-dire à la paix, on ne sacrifiait sans doute pas moins de victimes qu’aujourd’hui, seulement l’on y dépensait plus de temps. Était-ce meilleur pour l’humanité ? Valait-il mieux périr miné par la fièvre et par les privations, épuisé par le typhus et par les dyssenteries plutôt que de mourir de la mort glorieuse du soldat ? Il n’est pas un militaire qui hésiterait, s’il pouvait choisir.

Mais le choix n’est pas à faire. Que la guerre soit plus ou moins meurtrière aujourd’hui qu’autrefois, que l’on regrette ou que l’on ne regrette point le passé, ce sont là discussions oiseuses ; ce qu’il importe de savoir et de ne pas oublier, c’est que de nos jours le démon de la guerre, utilisant à son profit les créations de la paix, de la science et de l’industrie, est devenu capable, dès son premier mouvement, de porter des coups qui désemparent les armées les plus nombreuses, les plus vaillantes et les mieux organisées. Jamais la vitesse, l’économie du temps, la rapidité de l’action, qu’elles viennent des combinaisons et de la résolution de l’esprit ou de la