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vient surtout de la supériorité d’un mode d’obturation, qui est complète, tandis qu’elle est défectueuse dans le Zündnadelgenehr. Il utilise sur la balle tous les gaz produits par l’inflammation de la poudre, et en même temps qu’il gagne par là beaucoup en force et en portée, il se soustrait à la nécessité des lavages, qui sont si fréquens avec le fusil prussien. Les esprits chagrins pourront sans doute encore regretter que l’on ait mis un temps aussi long pour arriver à ces résultats ; mais, pour être juste, il faut reconnaître que ces résultats sont considérables. Ajoutons enfin, mais ceci est le revers de la médaille, que si le fusil Chassepot était adopté pour l’armement réglementaire de la France, qui comporte au moins 2 millions de fusils, il faudrait demander au corps législatif un crédit de plus de 100 millions de francs pour les construire.

Quoi qu’il en soit, les Autrichiens, malheureusement pour eux, n’avaient pas d’armes de cette valeur à opposer au fusil prussien. Leur fusil à chargement par la bouche, construit sur les plans de M. Lorenz, était cependant une arme nouvelle qui eût certainement brillé dans une comparaison avec toutes les autres armes du même système ; mais le système lui-même allait être condamné par une expérience que tout le monde aujourd’hui sans doute accepte comme définitive : aussi n’y a-t-il pas lieu de donner une description du fusil Lorenz[1], et l’on comprendra les perplexités que, malgré les mérites, malgré la supériorité de justesse et de portée de ce fusil, le général Benedek et ses officiers devaient ressentir quand ils pensaient à l’armement de leurs adversaires. On en a eu d’ailleurs la preuve dans l’ordre du jour où le général autrichien, parlant à ses soldats de la rapidité du tir du fusil à aiguille, leur conseillait de n’en tenir compte que comme d’une incitation nouvelle à employer la baïonnette et la crosse. Le conseil était d’un brave, mais était-il facile ou même seulement possible de le suivre ? La portée utile du fusil prussien, si réduite qu’elle soit, est encore de 500 mètres au moins, et c’est une grande distance lorsqu’il s’agit de la franchir sous une grêle de plomb aussi épaisse que celle dont l’infanterie prussienne est capable de remplir l’espace en avant d’elle. Le général Benedek, qui était à Solferino, où il a déployé une énergie et des talens peu communs, devait savoir qu’à cette bataille il n’y eut ni cavalerie autrichienne ni cavalerie française qui, malgré tout son bon vouloir, ait pu joindre à l’arme blanche l’infanterie qui lui était opposée. De part et d’autre, la vivacité des feux désorganisait toutes les charges avant qu’elles pussent aboutir, et en dépit de la vaillance

  1. Le lecteur curieux pourra trouver une description complète de cette arme dans le livre que le colonel fédéral Edmond Favre vient de publier tout récemment sous ce titre : L’Autriche el ses institutions militaires, 1 vol. in-8o, Paris et Leipzig, 1866.