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nier en effet que leurs désirs, leurs intérêts, leurs sympathies, ne les poussent dans les bras de la Prusse. Sans doute on ne saurait blâmer trop sévèrement les moyens que le premier ministre du roi Guillaume Ier a employés pour forcer la crise à se résoudre, mais il faut reconnaître aussi que ce n’est pas lui qui l’a créée, que sous tous ses rois la Prusse a travaillé à la produire et ne s’est point toujours pour cela servie de moyens condamnables. Ce n’est pas seulement par ses défauts ou par ses erreurs à l’endroit de la morale que la Prusse a réussi à devenir ce qu’elle est, ce n’est pas seulement parce que l’éclat de sa puissance éclipse celle de tous ses microscopiques voisins que tant de regards en Allemagne se tournent vers elle : c’est aussi parce que, depuis le jour où elle a pris place sur le grand théâtre du monde, elle n’a cessé, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, de déployer la vitalité la plus énergique, — parce qu’elle a donné tous les gages que l’on peut demander à une nationalité vivace et sûre d’un avenir qui ne saurait lui échapper, — parce que depuis deux siècles elle est le représentant le plus autorisé du génie de l’Allemagne, — parce qu’elle a exceptionnellement brillé de l’autre côté du Rhin dans les lettres et dans les arts, dans les sciences et dans la philosophie, dans tous ces travaux de l’intelligence que la race germanique entoure d’un culte si sincère et si honorable, — parce que son administration a toujours été meilleure que celle de ses voisins, — parce qu’enfin elle s’est faite le champion armé de la commune patrie, et que, pour jouer ce rôle, elle soutient avec un dévouement admirable les charges d’une organisation militaire qui serait probablement insupportable à tout autre peuple de l’Europe.

Voilà ce qui a valu à la Prusse, ambitieuse et résolue, le rang qu’elle occupe, et ce qui explique pourquoi elle a trouvé un appui moral, sinon matériel, dans plusieurs des états dont les gouvernemens avaient pris parti pour l’Autriche. Maintenant que la victoire a prononcé et lorsqu’il s’agit de donner à la confédération une constitution nouvelle, c’est-à-dire presque de refaire la carte de l’Allemagne, nous allons voir sans doute toutes ces tendances se manifester avec beaucoup de force. Avant la lutte, elles n’existaient qu’à l’état latent ; du moins on n’a vu nulle part les populations se soulever contre leurs princes, ni les armées manquer à leurs gouvernemens. L’exemple de la Saxe et du Hanovre est là pour le prouver, comme aussi celui du duché de Bade, où l’opinion a contraint le grand-duc, gendre du roi de Prusse, à se déclarer malgré lui contre le gouvernement de Berlin. On peut donc dire qu’au moment où la guerre a commencé, la majorité numérique dans les populations appartenait à l’Autriche et à ses alliés.