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LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

une plus douce émotion. Ces bons enfans qui, sachant parmi nous l’auteur de Foscarini et l’ayant découvert, s’en emparent et le traînent en triomphe au petit théâtre où va être jouée sa tragédie, sont toujours devant mes yeux. Rien ne pouvait m’aller plus au cœur, rien ne pouvait me sembler plus flatteur pour le poète que ce transport ingénu, gage précieux et sûr des sentimens de la population entière… »

Un autre jour, on allait à Varramista, la splendide villa des Capponi, où Colletta et Giordani revoyaient l’Histoire de Naples, à la villa Puccini de Scornio, où le maître s’occupait tout à la fois de fonder des écoles populaires et d’orner ses jardins de toutes les œuvres de l’art. Dans ces courses, Niccolini étonnait ses amis par la verve libre et hardie avec laquelle il parlait de tout, de littérature, de philosophie, de politique ; il portait dans ses entretiens, dans ses communications familières je ne sais quelle ironie âpre et subtile, témoin le jour où, étant chez son frère, à Tracolle, il écrit avec une brusque irrévérence : « Ici je ne vois que des chênes, des châtaigniers, des brebis, des porcs et des frati, toutes choses qui, moins les frati, valent mieux que les chambellans et les conseillers. Je me promène dans les bois armé d’un bâton en cas de rencontre de quelque rejeton de race royale, je veux dire un loup ; mais les contadins ne respectent pas la légitimité, et, quoique je sois allé jusqu’à l’abbaye de Monte-Scalari, lieu montueux et inaccessible, je n’ai trouvé aucun de ces royaux personnages. Les renards, véritable image des conseillers, rôdent la nuit, et selon l’habitude égorgent la pauvre volaille, qui est toujours écorchée et dévorée malgré ses cris. » Les lettres de Niccolini sont l’histoire familière de ce temps-là et de cette vie ; elles peignent l’homme et cette efflorescence de civilisation florentine.

Il y a un moment où Niccolini passe visiblement comme son petit pays par une douloureuse crise intérieure, et où, sans se laisser atteindre dans son intégrité, dans ses facultés natives, son caractère semble se replier en lui-même. Il n’était pas de ceux qui plient facilement ; mais il était de ceux qui ressentent vivement, qui ont toute la mobilité des natures nerveuses, pour qui tout devient aiguillon et tourment. Les circonstances publiques étaient peut-être les premières à exercer sur lui leur influence. Cette demi-liberté de l’esprit dont jouissait la Toscane commençait à être menacée. Le grand-duc Ferdinand avait été un prince bienveillant et facile ; sous son successeur le grand-duc Léopold, la réaction montrait déjà ses griffes. Louer le libéralisme et la douceur du prince mort était un acte de jacobinisme. Un article préparé pour l’Anthologie, écrit avec autant de discrétion que de dignité, et où une