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pennin. Cette villa de Popolesco ou de l’Agna, avec ses prairies, ses frais ombrages et ses paysages séduisans, était pour Niccolini plus que la médiocrité dorée. Il y allait souvent chercher le repos ; il y réunissait ses amis, il aimait à s’entretenir avec eux du passé, du temps présent, de tout ce qui passionnait les esprits, mêlant dans ses saillies l’amertume et la gaîté, prodiguant la verve, éclatant en épigrammes amusantes ou dédaigneuses, offrant le spectacle d’une âme libre et haute dans une vie simple. Riche ou pauvre, Niccolini n’était point le personnage le moins original de ce mouvement florentin de la restauration, auquel il donnait l’éclat de son caractère et de son imagination industrieusement ardente.

C’était, somme toute, un temps heureux pour la Toscane, un temps de vie animée et facile malgré la maussade figure de la police toujours prête à se montrer au bord de la scène. Le plus souvent on se réunissait chez Vieusseux, et les jours de fête étaient ceux où Angelica Palli venait de Livourne, où Manzoni venait de Milan, où passait quelque étranger comme Champollion, comme Savigny, comme Cooper, le romancier américain. Souvent aussi on se retrouvait dans la maison Lenzoni, où la soirée se passait à écouter de la musique et des vers. « Soirée extraordinaire à la maison Lenzoni, écrit Mario Pieri. La célèbre Carlotta Marchionni a lu quelques scènes d’Antonio Foscarini, faisant le rôle de Teresa, tandis que la Massimina Rosellini représentait Mathilde… La chansonnette nocturne de Foscarini a fait une agréable surprise, chantée à l’improviste et très bien dans une chambre voisine par la Carolina Testa. » Quelquefois la brigade, comme s’appelait cette bande d’esprits distingués, faisait des excursions. Un jour elle allait à Vallombreuse et aux Camaldules, dans l’Apennin, sur ces hauteurs solitaires d’où on voit encore Florence, la vallée de l’Arno et la mer, où deux siècles auparavant Milton s’était assis, « désireux de voir l’eau tomber de l’alpestre Vallombrosa. » C’était Vieusseux qui avait organisé et qui dirigeait l’excursion. « Cara mia, écrivait Niccolini à l’actrice Maddalena Pelzet, celle qui avait été son idéal dans la création de la Teresa de Foscarini, — cara mia, c’est affreux de vivre dans une ville comme celle-ci. J’ai fait un voyage à Vallombreuse et aux Camaldules, et en gravissant ces montagnes j’ai guéri mon corps et mon âme. J’ai été six jours parmi les hêtres et les sapins, et au milieu des éternelles beautés de la nature j’ai senti toute la vanité des choses humaines. » Niccolini ne disait pas tout. « Vous souvenez-vous, écrivait peu après un de ses compagnons, Montani, à un autre des voyageurs de la brigade, vous souvenez-vous de notre journée à Poppi ? Les histoires du secrétaire florentin rendaient bien émouvante la visite de ce château. Une scène inattendue nous causa