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LES PRÉCURSEURS ITALIENS.

déjà par une sorte d’austérité alliée à une imagination ardente, par un sentiment précoce de dignité morale ; il était de ceux dont on craint les saillies, qui sont comme la conscience vivante de ceux qui les entourent. Obligé de recourir pour vivre à un petit emploi, — il fut successivement attaché aux archives, professeur d’histoire et de mythologie, secrétaire de l’académie des beaux-arts, bibliothécaire ; — il ne s’appartenait pas moins et relevait par son indépendance de cœur ce qu’il regardait quelquefois comme « son esclavage. » Foscolo l’appelait « un jeune homme de mœurs pures, d’âme italienne et de noble génie. » On a cru quelquefois qu’il avait été le type du Lorenzo de Jacopo Ortis. Il n’en était rien ; Lorenzo n’était qu’un personnage imaginaire. Ce qu’il y avait de vrai, c’est que Foscolo et Niccolini, malgré l’inégalité d’âge, s’étaient liés dès leur première rencontre d’une amitié fraternelle dont on retrouve des traces dans les lettres de l’auteur d’Ortis. Niccolini n’était pas Lorenzo, mais il savait qui était la Thérèse de Werther italien, il était initié à tous les orages intimes de cette étrange existence de Foscolo, l’homme à « la superbe figure mélancolique, » selon le mot de Sismondi, à la conversation impétueuse et colorée, aux passions ardentes, qui semblait promettre les plus grandes choses et qui était destiné à finir misérablement dans l’exil. Quand Foscolo, après avoir refusé de prêter serment au royaume d’Italie, fut relégué à Florence, qu’il appelait « son hôpital, son théâtre, son école et son jardin, » il s’était fixé sur la charmante colline de Bellosguardo. Niccolini le voyait souvent et s’entretenait avec lui de politique, de poésie et d’art. L’un et l’autre, avec des caractères très différens, avaient cela de commun qu’ils nourrissaient le même instinct patriotique, qu’ils avaient la même haine des littérateurs de cour, des poètes prosternés devant toutes les dominations, des écrivains faméliques et des charlatans de l’esprit. Les deux amis se quittèrent en 1813 pour ne plus se revoir. Foscolo revint à Milan, où il assistait un an après à la tragédie populaire qui coûta la vie au comte Prina. Niccolini restait à Florence et suivait l’auteur des Tombeaux d’un regard inquiet.

Ce qu’il y a de caractéristique dans cette amitié, c’est qu’elle fut refroidie tout à coup au lendemain de 1815, non par l’absence, non par des froissemens d’amour-propre ou de l’indifférence, mais par un soupçon. Foscolo, l’homme toujours en guerre avec les autres et avec lui-même, s’était-il laissé aller, comme il en fut accusé, à prendre quelques engagemens avec les Autrichiens ? Niccolini le crut, et de longtemps il ne put lui pardonner ; il ne souffrait pas même qu’on essayât devant lui une justification de celui qui avait été son ami. « Non, disait-il brusquement, c’est inutile, point d’a-