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REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous avez tort. Vous ne saurez jamais la prendre, si vous ne lui parlez pas avec autorité. Elle ne se rend pas aux raisons, elle aime qu’on la commande.

— Permettez-moi de croire que je la juge et la connais mieux.

— Je ne crois pas, moi ; mais cela vous regarde en général. Pour cette affaire-ci, qui m’intéresse et me concerne, ne m’exposez pas, je vous en prie, à être forcé de me parjurer envers vous ou de désobéir à ma cousine ; elle ne voit déjà pas d’un si bon œil mon amour pour la Vanina.

— Pourquoi supposez-vous cela ?

— Parce qu’elle est jalouse de moi.

Je crus avoir mal entendu ; mais Tonino impassible répéta ce qu’il venait de dire : — Oui, oui, elle est jalouse de moi, monsieur Sylvestre ; cela vous étonne ?

— Oui, certes ! répondis-je en m’efforçant de cacher mon trouble.

— Moi, je suis étonné de votre étonnement, reprit Tonino sans se déconcerter. Vous voyez bien que vous ne la connaissez pas ! Ma cousine est née jalouse, et si je suis devenu jaloux de son amitié, elle a tort de me le reprocher : c’est elle qui m’a donné l’exemple. Quand j’étais petit, elle ne pouvait souffrir qu’on me fît plus d’amitiés qu’elle ne m’en faisait, et quelquefois elle me disait : — Personne ne m’aime, tu dois donc m’aimer pour tout le monde, et si tu me préférais quelqu’un, ce serait me tuer. — Elle a oublié cela, parce qu’elle ne m’a plus aimé à mesure que je grandissais ; mais l’habitude lui est restée de vouloir régner seule sur mes volontés. Elle est despote comme toutes les personnes ombrageuses. Quand elle me donne un ordre, si je m’attarde un peu pour rendre un petit service à la Vanina, elle ne s’emporte plus, vous l’avez corrigée de la colère : elle nous boude et nous parle froidement pendant trois jours. Jalouse de son autorité, jalouse de la liberté et du bonheur des autres, voilà ce qu’elle est et ce qu’elle a toujours été depuis quinze ans : c’est la conséquence de sa faute.

— De sa faute ! m’écriai-je ; est-ce que vous osez prononcer ce mot-là, vous, Tonino ? est-ce que vous savez si votre mère adoptive a commis une faute ?

— Comment ne le saurais-je pas ? J’ai bercé son enfant. On me disait alors qu’elle était veuve : c’était bien inutile, je ne songeais pas à questionner ; mais plus tard, quand j’ai vécu ici, il m’a bien fallu savoir, comme tout le monde, qu’elle n’avait jamais eu de mari.

— Vous eussiez dû ne l’apprendre jamais, ne pas l’entendre, ne pas le croire, et aujourd’hui encore vous devriez parler comme si vous ne le saviez pas.