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REVUE DES DEUX MONDES.

— Tu comptes l’épouser alors ?

— Oui, ma cousine,… avec votre permission et celle de M. Sylvestre.

— Et c’est de cela que tu lui parles à voix basse depuis une heure ?

— Non, ma cousine ; je ne lui parle encore que d’amitié. Il me faut votre permission pour lui parler mariage : me la donnez-vous ?

— Moi ?… Oui, de premier mouvement ; mais je veux l’avis de M. Sylvestre, et tu auras la bonté de l’attendre.

— Je l’attendrai… à moins qu’il ne veuille avoir la bonté, lui, de me le donner tout de suite.

— Mon cher enfant, lui dis-je, je n’ai que des conseils d’amitié paternelle à vous donner. Vous me les permettez, et j’en suis reconnaissant. Me permettez-vous aussi de vous faire quelques questions ?

— Faites, répondit-il en m’embrassant.

— Eh bien ! repris-je, ne pensez-vous pas que vous êtes bien jeune pour vous marier ?

— Je suis jeune en effet ; mais la Vanina est jeune aussi. J’ai vingt-deux ans, elle en a seize. Je suis assez raisonnable pour elle. Si je l’étais davantage, elle aurait le droit de trouver que je le suis trop.

— Mais le mariage est une chose grave !

— Pour vous et pour ma cousine, oui, très-grave, mais non pour des jeunes gens qui ne sont rien, qui ne possèdent rien, dont l’avenir ressemblera beaucoup au passé, et qui n’ont pas l’habitude de se creuser la cervelle pour résoudre des problèmes. Nous travaillerons, nous nous aimerons, nous ne réfléchirons guère, et nous serons très heureux…

Félicie voulut faire une objection : il ne lui en laissa pas le temps.

— Oh ! vous, ma cousine, lui dit-il, vous n’y entendez rien, permettez-moi de vous le dire. Vous en cherchez trop long pour moi. Vous m’avez fait de grandes morales autrefois, et je vous écoutais, tout confit en Dieu et en vous. C’était l’âge où vous vouliez faire de moi quelque chose de très bien, où vous rêviez pour moi dans l’avenir un mariage bourgeois ; mais j’ai réfléchi. Depuis que vous ne vous souciez plus de moi, je me suis dit qu’épouser une riche fermière ou une chevrière sans le sou, c’était toujours déroger pour un gentilhomme, et qu’il me fallait trouver une princesse ou me contenter d’une bergère. Or la princesse ne me tombera certainement pas du ciel, autant vaut dont choisir la bergère qui me plaira, et celle-ci me plaît. Donnez-la-moi, j’irai vivre avec elle sur la montagne, et avant peu je vous réponds que vous aurez beaucoup