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LE DERNIER AMOUR.

telligence s’était développée dans les fréquens entretiens qu’elle eut avec Tonino, et on l’avait vue, de jour en jour, devenir plus correcte dans sa tenue et dans son langage. Ces entretiens l’avaient rendue fort distraite. Félicie avait surveillé sa conduite, et à la suite de quelques réprimandes la jeune fille, craignant d’être chassée, s’était mise à l’ouvrage avec ardeur. On était alors très content d’elle ; elle se rendait utile à la ferme, précieuse même dans la maison, et sa maîtresse lui témoignait de l’amitié, surtout depuis que l’absence de Tonino avait coupé court aux soupçons que pouvait faire naître leur intimité. Vanina, partie dès l’aube pour faire paître son troupeau sur le versant opposé de la colline, ne savait rien de l’arrivée inattendue de Tonino. Au moment où nous venions de nous mettre à table pour le dîner, elle entra dans la salle, étouffa un cri, eut un vertige, devint pâle, et se laissa tomber sur une chaise.

Cette joie naïve, aussitôt réprimée, mais suivie d’une rougeur révélatrice, fit sourire Tonino. Il alla vers elle et l’embrassa sans façon en la tutoyant comme par le passé. Au bout d’un instant, il se leva pour l’aider à nous servir, Félicie et moi, et, à mesure que le repas se prolongeait, nous étions de plus en plus mal servis. Il arriva même que nous ne le fûmes plus du tout, tant ces deux jeunes gens chuchotaient avec entrain dans la cuisine. Félicie dut appeler la Vanina et l’avertir ; mais elle ne la gronda point et ne s’en prit qu’à Tonino, à qui elle ordonna de se rasseoir avec nous et d’être plus convenable. — Si tu commences ainsi, lui dit-elle, je vois bien que je serai aussi mécontente de toi que je l’étais l’an passé. Tu as failli me faire renvoyer cette petite. Je la croyais coquette et dévergondée, à présent je sais qu’elle est bonne et sage ; mais elle est simple, et si tu cherches à la détourner de son devoir, c’est toi que je renverrai.

— Encore cette menace ! répondit Tonino avec un peu d’arrogance tempérée par l’enjouement. Je vois bien qu’il faudra s’y habituer et justifier toutes mes actions et toutes mes paroles. Sachez donc, cousine, que j’aime Vanina de tout mon cœur. Je vous ai dit non dans le temps : c’est que je ne croyais pas l’aimer ; mais j’ai pensé à elle tout le temps de mon absence, et à présent que je la retrouve si jolie, si proprette, si charmante fille, et m’aimant toujours… comme son frère ! aujourd’hui surtout que je sens que vous ne m’aimez plus comme votre fils, je me dis que l’amitié d’une chevrière vaut mieux que rien, et je fais cas de ce que le ciel m’envoie pour me consoler.

— Aime-la, reprit Félicie, tu ne peux pas mieux placer ton amitié ; mais si tu lui parles d’amour…

— Vous me renverrez, vous l’avez déjà dit. Eh bien ! je vous réponds que je lui parlerai d’amour, et que vous ne me renverrez pas.