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LE DERNIER AMOUR.

qui m’aurait troublé, si je ne l’eusse avoué. À présent que j’en suis débarrassé, je suis sûr qu’elle ne m’en veut pas de l’avoir trouvée digne d’un homme sage et, je crois, irréprochable. Ma confession est un hommage que je lui rends et que je lui devais peut-être. À présent, si je ne donne pas suite à mon rêve, elle saura que ce n’est pas par orgueil, mais par dévouement et par modestie.

Jean ne comprenait plus rien et me regardait avec un étonnement comique, se demandant si c’était de ma part une timide déclaration ou une rupture. Il me savait gré de ne l’avoir pas trahi et de prendre sur moi seul tous les risques de l’explication. Il attendait avec anxiété ce que Félicie allait me répondre.

Quant à celle-ci, elle ne s’y trompa point, et, se levant avec résolution, elle vint à moi et me tendit la main. — Je vous remercie de votre franchise, me dit-elle. Vous m’absolvez du passé, mais ce n’est pas une raison pour vous fier à l’avenir. Vous me trouvez trop jeune et vous sentez que je ne suis pas la compagne raisonnable et calme qu’il vous faudrait ; vous êtes dans le vrai. Je ne veux pas faire un mariage d’amitié, et, comme je ne crois pas inspirer jamais l’amour, je compte ne jamais me marier.

Jean fit la remarque assez judicieuse que nous étions deux cerveaux par trop romanesques, l’un s’abstenant du mariage faute d’éprouver l’amour, l’autre faute de l’inspirer. — Écoutez, lui répondit Félicie avec feu, je suis positive au contraire ! Je ne comprends pas le mariage sans fidélité réciproque, et l’amour est la seule garantie à laquelle je croie. Ni le devoir ni Tamitié ne peuvent lutter seuls dans le cœur d’un homme contre les tentations de la vie ; il faut aussi l’amour ! Je ne veux donc être aimée ni par pitié ni par devoir, M. Sylvestre l’a compris, et je lui sais gré de ne m’avoir pas laissée prendre le change.

Elle nous quitta en nous disant un bonsoir amical, etj comme Jean restait triste et absorbé, je voulus lui démontrer que, Félicie étant parfaitement calme et nullement piquée, j’avais bien agi dans l’intérêt de tous en faisant cesser un quiproquo ridicule et pénible.

Jean secoua la tête. — Ma sœur est trop fière, dit-il, pour se fâcher de votre froideur. Elle n’en souffre peut-être pas : je ne sais plus rien de ce qui se passe entre vous deux ; mais je vous déclare que, si elle en souffre, elle en souffre beaucoup. Personne ne le saura, mais le mal intérieur sera grand. C’est une fille qui ne sent rien à demi.

L’idée du chagrin de Félicie me rendit très malheureux, je l’avoue, et vingt fois, le lendemain, je fus prêt à lui dire que j’avais menti, que je l’aimais passionnément et que j’étais jaloux. Je