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REVUE. — CHRONIQUE.

problèmes commerciaux, et sa santé lui interdit le mouvement continuel. M. von der Pfordten est un esprit plus théorique que son collègue de Stuttgart. Il y a chez lui plus de passion que de volonté, moins de fermeté que d’obstination. En ce qui concerne la question allemande, il se tient plus peut-être avec M. de Beust qu’avec le baron de Varnbühler, penche pour « un troisième groupe, » un état compacte formé par les états du sud-ouest. De 1849 à 1859, le baron von der Pfordten porta la peine d’erreurs qui n’étaient point les siennes, mais celles de ses collègues, et tomba avec le cabinet que le dernier roi (Maximilien II) congédia en disant : « Je veux vivre en paix avec mon peuple ! » Ce serait toutefois mal juger M. von der Pfordten que de ne pas voir en lui un libéral, et la meilleure preuve en est que les libéraux par excelle ;. ce qui jadis le renversèrent sont aujourd’hui ses amis et ses soutiens. J’allais oublier de dire, tout au moins de rappeler, qu’en fait de jurisprudence fédérale, de droit confédéré allemand, M. von der Pfordten ne connaît pas de maître.

Si, comme il plaisait tant à M. de Bismark de l’affirmer, la confédération germanique était morte, elle n’aurait eu de son vivant qu’un seul délégué dans les congrès européens. J’ai nommé M. de Beust. Représentant de la diète à Londres en 1864, le ministre saxon se trouvait en contact immédiat avec les chefs de la diplomatie ; par lui, la diète prenait corps, c’était la première fois que la confédération se faisait représenter au dehors : innovation flatteuse pour l’homme d’état qui en était l’objet, trop flatteuse sans doute, car lord Palmerston tout d’abord en prit ombrage. Qui à Londres ne se rappelle cette fameuse réception du samedi à Cambridge-House, où parmi les divers ambassadeurs des puissances coopératrices M. de Beust fit son apparition, non plus comme ministre du roi Jean, mais comme envoyé de la confédération ? Personnellement M. de Beust n’avait pas encore été présenté au premier lord de la trésorerie ; c’en était assez pour que lord Palmerston affectât de ne pas le reconnaître, et son nom déjà célèbre courait dans toutes les bouches lorsque, jugeant sans doute convenable de mettre fin à cette scène de comédie, M. Murray, le ministre de la reine Victoria près la cour de Dresde alla droit à lui, et l’amenant au maître de la maison : « Mylord, dit-il en souriant, le baron de Beust. » Sur cette attitude presque hostile de l’homme d’état octogénaire plus d’un se méprit ; on crut y voir une certaine répulsion pour la politique brouillonne de l’Allemagne. Il n’en était rien. Lord Palmerston aimait le pouvoir d’une ardeur si intense, qu’il lui venait par momens des bouffées de jalousie à l’endroit de ceux qu’il reconnaissait capables de l’exercer. À ses yeux et pour le quart d’heure, M. de Beust était trop quelqu’un. « Le représentant de l’Allemagne, » qu’était-ce que cela ? Il eût à coup sûr mieux aimé l’ignorer ; c’était en effet trop pour cet Anglais qui trouvait l’Europe un théâtre trop étroit pour que lui et le prince Félix Schwarzenberg y pussent figurer ensemble.

Physionomie curieuse et attrayante que celle de ce ministre du roi Jean à qui les événemens paraissent finalement vouloir donner raison ! Très populaire chez lui, M. de Beust, depuis 1863, n’a pas un instant fléchi dans la ligne qu’il a prise vis-à-vis des deux états prédominans. Dès le début, on le voit soutenir le droit national allemand en face de l’Autriche et de la