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pour les appeler par leur sobriquet désormais historique, tout en promettant l’appui de leurs votes à une combinaison tory, aiment mieux demeurer en dehors des places. Quant à nous, dans la formation du cabinet nouveau, ce qui nous intéresse le plus, c’est la résolution que prendra lord Stanley touchant la place qu’il y doit remplir. Ainsi que nous le pressentions déjà, il y a quinze jours, il est question de lord Stanley pour les affaires étrangères. Ce serait un événement important pour le continent que l’arrivée d’un pareil homme à un pareil poste. Certes nous ne demandons point à l’Angleterre de se mêler au chaos des affaires continentales, et nous comprenons la répulsion que lui inspirent ces combinaisons politiques qui commencent par l’intrigue occulte pour aboutir aux horribles carnages. Cependant les Anglais vont d’un excès à l’autre : il y a eu des temps où ils se mêlaient de tout, et ils ont fini par ne plus vouloir se mêler de rien. Entre les deux systèmes, entre l’activité tracassière et l’inertie, il devrait y avoir un milieu conforme à l’honneur de l’Angleterre et aux intérêts de la communauté européenne. C’est ce milieu que nous voudrions voir remplir par lord Stanley. À la place où se sont trop longtemps épanouies les finesses usées et l’aménité fade des vieux dandies, nous voudrions voir l’application sérieuse, l’intelligence solide, la droiture simple d’un homme jeune, à l’esprit tout moderne, absolument déniaisé des superstitions continentales, et qui, toujours nommé avec éloge par les plus éminens de ses adversaires politiques, M. Mill, M. Gladstone, M. Bright, ne pourrait manquer d’acquérir l’estime des libéraux européens.

E. Forcade.


L’ESPAGNE ET L’INSURRECTION DE MADRID.


Pendant qu’en Italie et en Allemagne se livrent des batailles qui ont au moins leur grandeur par les intérêts généraux, par les idées, par les passions nationales qu’elles mettent en jeu, l’Espagne, elle aussi, a ses batailles, profondément tristes, d’abord parce que ce sont des batailles de rues, de purs déchiremens intérieurs, et puis parce qu’elles ne sont visiblement que le dangereux symptôme d’une situation poussée à bout. L’Espagne a de singuliers à-propos dans ses agitations et ses soulèvemens. Il y a deux ans, elle choisissait le moment où une grande guerre naissait sur le continent pour faire une révolution qui immobilisait sa politique en la séquestrant de tout le mouvement européen. Aujourd’hui voilà une guerre nouvelle qui est la crise décisive de l’Europe, où tout le monde peut être engagé un jour ou l’autre, et les convulsions recommencent au-delà des Pyrénées. L’ère des insurrections militaires semble se rouvrir, si tant est qu’elle ait jamais été close. Il y a six mois, c’était le général Prim qui entrait en campagne avec quelques escadrons. Hier c’était une partie de la garnison de Madrid qui faisait son pronunciamiento, et qui n’a été réduite que par le déploiement instantané d’une extrême énergie. Et, qu’on le remarque bien, à mesure qu’ils se renouvellent ces désordres s’aggravent, prennent le caractère d’un travail continu et redoutable, nécessitent des répressions sanglantes qui ne sont qu’une complication dou-