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LE DERNIER AMOUR.

et crevassée en mille endroits, oiïrcait un labyrinthe de débris, de blocs perdus dans les marécages, d’arbres entraînés des hauteurs, de fissures mystérieuses, de recoins sauvages, d’abîmes impénétrables. Ce chaos de rochers, de sables et de verdure eût fait la joie d’un peintre, et, sans être peintre, j’avoue que je n’eusse voulu y rien changer, si ce fantastique domaine eût été mien.

Mais en explorant, au péril de ma vie, la gorge où se déversaient à grand bruit les deux torrens, je découvris quelque chose que l’on eût pu appeler une mine de terre ; c’était un amas enfoui de terre végétale de la meilleure qualité. Arracher cette terre à l’abîme où elle s’était amoncelée depuis quelques années dans une profonde fissure sous-rocheuse eût été un travail gigantesque ; mais forcer les eaux, qui avaient enseveli là leurs apports, à en conduire ailleurs de nouveaux et à les livrer à la culture, ne me parut pas très difficile. Il ne s’agissait que de briser à la mine une roche qui leur fermait le passage et de diriger leur course sur la presqu’île dont Jean avait l’ambition de faire une île. Ce sol bas, que la rivière inondait sans cesse, devait se renfler et s’élever vite à une certaine hauteur capable de résister aux flots, si nous parvenions à l’enrichir de tous les débris et de tous les détritus fécondans que charriaient les petits torrens. Il s’agissait de savoir si ces débris partaient d’une région assez riche et assez étendue pour ne pas s’épuiser avant de nous avoir fourni l’amas nécessaire.

J’allai chercher Jean ; il était sombre, il n’avait ni dormi ni déjeuné. Quand je l’eus interrogé sur ce que je voulais savoir : — Eh monsieur, s’écria-t-il avec amertume, vous tenez mon idée ! J’avais découvert la mine de terre, et, comme elle m’appartient, je songeais aux moyens de l’extraire de son abîme ; mais l’endroit a été creusé et arrangé par le diable, et, pour rendre le transport praticable, il faudrait des ressources que je n’ai pas.

— Aussi, lui dis-je, il n’y faut pas songer. Il faut avoir la mine à ciel ouvert des terres que les eaux vous amènent. Où sont-elles situées ? Vous devez le savoir.

— Oui, je le sais : elles appartiennent à un pauvre hère qui ne peut les sauver, il n’a pas le moyen d’endiguer sa terrasse ; mais, s’il devine que je veux les utiliser à mon profit, il m’en demandera trois fois ce qu’elles valent.

— Eh bien ! laissez-moi établir mes calculs, et si nous trouvons que ces terres rendues chez nous sans frais, puisque le torrent se chargerait de la besogne, doivent nous valoir en bas vingt fois ce qu’elles valent en haut, payez six fois ce qu’elles valent en haut. N’hésitez pas, ce sera encore de l’argent bien placé.

— Mais que ferons-nous de ces terres charriées quand nous les