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parole publique qui nous aurait entraînés à cette calamité, nous nous y serions laissés lentement dériver dans l’obscurité du silence.

Au point où en sont les choses, en présence du vaste foyer où la guerre commence à sévir, il y aurait une garantie sérieuse soit pour la sécurité du reste de l’Europe, soit même pour les chances d’une restauration prochaine de la paix entre les belligérans dans la situation des trois grandes puissances, la France, l’Angleterre et la Russie, momentanément vouées à la neutralité. Une entente complète entre ces puissances marquerait des limites à la guerre et pourrait presser le rétablissement de la paix. Cette entente est peut-être difficile, car si la situation est la même pour les trois, les intérêts ni les responsabilités ne sont les mêmes par chacune d’elles. La Russie avec ses intérêts orientaux, la France avec ses responsabilités italiennes, l’Angleterre, à qui sa constitution ne permet point de se lier à des combinaisons futures, ne sauraient tomber d’accord sur un même plan de conduite. Quelles sont du moins les intentions de la Russie ? Telle est la question que nous entendons poser depuis quelque temps par de naïfs curieux qui ne s’attendent point apparemment à une réplique toute simple de la part de la Russie : quelles sont les intentions de la France ? La Russie nous a pris le mot de neutralité attentive en accentuant peut-être un peu plus encore l’épithète. Il est à croire par exemple que ses regards sont tournés avec défiance vers les principautés, et que le traité de Paris de 1856 doit lui paraître aussi dépourvu d’existence que l’est, à notre dire, le traité de 1815. Ne pourrait-on pas calmer les préoccupations de la Russie à l’endroit des principautés en ménageant un mariage entre le prince de Hohenzollern et une princesse de Leuchtenberg ? On voit que nous savons prendre notre parti de nous retrouver en plein XVIIIe siècle et d’employer le mariage comme expédient diplomatique. Au fond, que la Prusse et la Russie eussent l’idée de se marier en Roumanie, cela ne nous chagrinerait point, si l’on pouvait à ce prix mettre les pauvres Roumains à l’abri de ces affreux Turcs. Quant à l’Angleterre, nous ne croyons point que l’on puisse en tirer ou en redouter grand’chose. Il est certain cependant, si nous avons intérêt à nous rapprocher de l’Angleterre, que l’on eût bien fait de laisser s’expliquer le corps législatif sur la politique extérieure de la France. Les Anglais nous ont prouvé que, quand leurs intérêts sont en jeu dans les questions étrangères, leur libéralisme ne connaît guère la pruderie. Cependant un instinct de tempérament les porte à préférer en matière d’alliances celles où ils rencontrent les garanties du régime représentatif. Nous n’osons espérer que l’on verra renaître l’entente cordiale entre la France et l’Angleterre ; ce qui est sur du moins, c’est que désormais les progrès de l’amitié entre les gouvernemens des deux pays se mesureront aux progrès mêmes qu’en France il sera donné à la liberté d’accomplir.

La chute du cabinet de lord Russell est maintenant un fait consommé. Nous la pressentions depuis plusieurs mois. Quoi qu’on ait dit, la minorité où s’est trouvé le cabinet à propos de l’amendement de lord Dunkellin a