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SCIENCES NATURELLES.

depuis dix à douze ans. Si cette nouvelle, que nous avons trouvée dans un journal anglais, est exacte de tout point, on pourrait en conclure que les moas ont trouvé une retraite dans les forêts de l’intérieur où l’homme n’a pas encore pénétré.

Quand les premiers Maoris, chassés des îles Samoa par la famine et par des guerres meurtrières, se réfugièrent dans les îles de la Nouvelle-Zélande (il y a de cela environ six siècles), ils les trouvèrent peuplées de ces oiseaux gigantesques. C’est un souvenir conservé par leurs traditions. Il y a vingt ans, les plus vieux parmi les indigènes affirmaient encore avoir mangé de la chair de moa dans leur jeunesse. Pourquoi ces grands animaux ont-ils disparu ? Leur destruction, comme celle du dronte, du solitaire et des autres grandes espèces contemporaines de l’homme, est une simple conséquence de la guerre naturelle et de la rivalité vitale qui obligent chaque individu et chaque espèce à lutter pour son existence.

Il est facile de voir que, lorsque cette lutte s’est terminée par l’extinction d’une espèce, l’homme y a généralement joué le rôle principal, celui du vainqueur. Ce sont d’ailleurs les animaux les plus grands qui, dans cette guerre exterminatrice, succombent les premiers. On peut même dire que tous les animaux de grande taille, à l’exception de ceux qui ont acheté leur existence par la servitude, sont fatalement condamnés à périr par la main de l’homme ; voici pourquoi. Le profit que nous pouvons espérer de tirer d’un animal est proportionné à sa taille aussi bien que le danger dans lequel il peut nous mettre. L’éléphant, la baleine, le lion, voilà un gibier qui vaut la peine qu’on s’y attaque, la proie sera plus riche, le combat plus glorieux, le résultat sous tous les rapports plus important ; l’attraction est donc encore ici en raison directe de la masse, et la grande taille d’une bête la signale à la persécution. Ce qui abrège encore la lutte et en hâte le terme fatal, c’est que les grands animaux sont toujours relativement peu nombreux à cause de la difficulté qu’ils ont à trouver leur subsistance ; leur entretien coûte trop cher à la nature pour qu’ils puissent se multiplier comme le petit peuple. Or le grand nombre des individus protège la propagation de l’espèce en laissant plus de champ à l’élection naturelle et au perfectionnement progressif. Toute forme qui n’a qu’un petit nombre de représentans, exposés à des fluctuations inévitables dans leurs conditions d’existence, court plus de chances qu’une autre d’être anéantie. C’est ainsi que l’élan et l’aurochs ont disparu des forêts de l’Allemagne ; la baleine aura peut-être disparu des eaux de l’Atlantique dans un avenir peu éloigné.

Voici encore un autre exemple qui montrera la rapidité avec laquelle se termine quelquefois cette lutte entre l’homme et la création.

En 1741, le zoologiste Steller, qui accompagnait le capitaine Behring dans son second voyage, découvrit sur la côte de l’île de Behring des troupes nombreuses d’un lamentin de taille colossale. Cet animal, qui reçut le nom de rhytine de Steller, se recommandait aux chasseurs par sa chair