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grâce à la concurrence vitale, toute variation favorable devra se perpétuer, tandis que les déviations nuisibles seront éliminées. Les variations les plus légères, pourvu qu’elles soient avantageuses à l’individu dans lequel elles se produisent, en le favorisant par rapport à ses congénères, contribuent à sa conservation et se transmettent par héritage à sa postérité ; celles au contraire qui diminuent la résistance vitale de l’individu hâteront sa destruction et disparaîtront le plus souvent avec lui. C’est là ce que M. Darwin appelle le principe de l’élection naturelle.

On sait à quels résultats étonnans les éleveurs et les jardiniers arrivent par une élection méthodique qui a pour but de fixer les déviations utiles, en accumulant avec soin toutes les variations accidentelles qui se produisent dans le sens voulu. L’élection naturelle, selon M. Darwin, produit des effets incomparablement plus grands, et de modifications en modifications fait naître d’abord les variétés, puis ensuite les espèces, qui ne sont au fond que des variétés bien tranchées dont les liens intermédiaires se sont perdus. Ce procédé naturel a donc pour conséquence finale un perfectionnement graduel par lequel toute forme vivante devient de mieux en mieux appropriée à ses conditions d’existence. Les formes de transition qui ne répondent à ces exigences que d’une manière imparfaite sont bientôt sacrifiées. On en retrouve quelques-unes dans ce vaste cimetière que nous appelons les couches géologiques, et chaque jour les fouilles qui sont exécutées dans les terrains anciens nous font connaître quelque chaînon perdu de l’immense série des êtres organisés.

Les circonstances locales et les conditions climatériques jouent sans doute un grand rôle dans ce développement progressif basé sur l’élimination des élémens faibles ou Imparfaits. Prenons, par exemple, une île ou un lac, c’est-à-dire une région isolée, entourée de barrières naturelles. Dans les étroites limites d’un pareil habitat, les chances de variations utiles sur lesquelles l’élection naturelle pourrait agir, se trouveront évidemment diminuées, ce qui retiendra le procédé de transformation progressive. En outre l’isolement, en empêchant l’invasion d’organismes mieux adaptés aux conditions particulières du sol, mettra les races indigènes à l’abri de la concurrence et de la destruction. Elles se conserveront plus longtemps, leurs variations seront plus lentes et beaucoup moins nombreuses ; mais en même temps ces races seront en retard sur le reste de la création et moins aguerries, pour ainsi dire, que les autres. Vienne alors une modification subite de leurs conditions d’existence, elles ne résisteront que faiblement, et leur destruction ne tardera pas à s’accomplir. C’est dans les bassins d’eau douce, dont l’étendue est relativement petite, que nous rencontrons encore quelques-unes des formes les plus anormales telles que l’ornithorhynque et le lépidosiren, sortes de fossiles vivans qui relient entre eux des ordres zoologiques aujourd’hui profondément séparés. Leur conservation n’est due sans doute qu’à l’isolement de leur habitat. Dans les îles du Grand-Océan, les premiers colons découvrirent égale-