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LES VOIES ROMAINES EN GAULE.

de routes exigeant une certaine unité d’exécution, le sénat nommait, sans doute sur la proposition de l’empereur, un curateur ou commissaire spécial, dont les fonctions étaient alors temporaires et d’une durée fixée par le sénatus-consulte qui les instituait ; c’est ce dont témoignent les inscriptions. Semblable mesure fut prise en France au XVIIe siècle, pour la réparation de certaines routes importantes, quand la surveillance des ingénieurs ordinaires était jugée insuffisante.

L’extension de la domination romaine avait amené tout naturellement dans les provinces nouvellement conquises la construction de voies semblables à celles qui sillonnaient l’Italie, et, dans les Gaules attenant à la péninsule, ces routes nouvelles n’étaient en réalité que le prolongement des premières ; elles avaient surtout pour objet de livrer le pays aux armées du peuple-roi et de permettre aux légions de se porter promptement sur les endroits menacés. Les généraux employaient leurs soldats à cette œuvre essentiellement militaire, comme nous le faisons encore de nos jours en Algérie. Outre que les légionnaires romains, accoutumés à la fatigue et familiarisés avec de pareils travaux, étaient plus propres à construire ces routes que les gens du pays, il y avait encore une raison pour préférer leurs services. Les peuples conquis, surtout ceux qui, comme certaines tribus gauloises et ibères et la plupart des Germains, vivaient de déprédations et de la guerre qu’ils faisaient à leurs voisins, devaient voir de très mauvais œil le percement de ces voies, car elles permettaient de réprimer leur brigandage, leur enlevaient les moyens de défense, faisaient disparaître une partie de leurs retraites, détruisaient leurs chasses et éclaircissaient leurs forêts. Lors de l’union de l’Ecosse à l’Angleterre, les highlanders, qui menaient un genre de vie fort analogue à celui des peuplades celtiques ou germaines et ravageaient continuellement le plat pays, virent avec un mécontentement qui ne s’était pas encore effacé à la fin du siècle dernier l’établissement des routes. Pour les mêmes motifs, les Indiens de l’Amérique du Nord se sont souvent refusés à conclure avec les yankees des traités avantageux parce qu’une des clauses qui s’y trouvaient inscrites était l’ouverture de routes sur leur territoire.

Dans les municipes dont l’administration était constituée sur le modèle de celle de Rome ou des anciennes villes du Latium, la surveillance des voies appartenait aux édiles institués à l’instar de ceux de la ville éternelle. Une inscription découverte à Bénévent mentionne deux de ces édiles locaux qui avaient fait construire une route et établir des étangs ; mais hors du territoire des municipes les voies se trouvaient placées sous la direction du proconsul ou du pré-