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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

sez-les. Violante, il est écrit que la femme triomphera de l’esprit du mal. Ecrasez donc la tête du serpent.

— Emmenez-le, dit tout bas Ghesnel à Violante.

Elle passa son bras sous celui du marquis. — Où me conduisez-vous ? demanda-t-il. Cet air glacé me rafraîchissait le front, cette pluie qui tombe me faisait du bien. Vous voyez que je vous obéis cependant ; je veux toujours vous obéir. Je suis à vous, Violante, tout à vous. Oh ! je vous aime ; mais où allons-nous ? Ne me ramenez point dans ce château noir.

— J’y retourne avec vous, dit Violante, nous allons rentrer dans ce boudoir où vous vous plaisiez jadis à laisser couler les longues journées près de moi.

— Et puis, reprit Chesnel, ne faut-il point que madame la marquise Violante change ses vêtemens qui sont trempés d’eau ? Croix-de-Vie ne songe à rien.

— Oui, oui, tu as raison, dit le marquis. Elle tremble, elle a froid. Il faut rentrer.

Ils marchèrent ainsi quelques momens, tous les trois en silence. Chesnel s’était mis auprès de Violante, afin de la soutenir, si le cœur ou les forces lui manquaient. Le marquis se laissait conduire ; il s’amusait comme un enfant à presser le sol sous ses pieds pour en faire jaillir l’eau sur son passage. — La terre aussi pleure, murmurait-il. Puis il releva la tête, ses yeux errèrent un instant dans le vague du brouillard et du ciel ; ils retombèrent sur la main de Violante, qui reposait sous son bras. — Voilà mes doigts de fée, dit-il.

Ge fut la dernière lueur de sa raison. En ce moment, on arrivait à la grande porte du château. Tout à coup il se rejeta en arrière.

— Les voyez-vous ? cria-t-il, ils sont là ! je les reconnais tous, ils m’attendent. Martel Ier une épée dans le corps, Martel II la tête fracassée, le troisième a bu le poison. Ils m’appellent ! je n’entrerai pas !

— Croix-de-Vie, dit Chesnel, regardez à vos côtés la marquise Violante que vous faites mourir.

Martel poussa un gémissement sourd. — Oui, oui, dit-il en baissant la tête, elle tremble, elle a froid, il faut rentrer. Quelques serviteurs se tenaient dans les communs sur le seuil des portes. Ils virent passer le marquis accompagné de sa femme et de Chesnel, et appuyé sur tous les deux. Pas un cri ne se fit entendre en ce premier moment de surprise et de peur. La plupart des gens de Croix-de-Vie n’étaient plus jeunes : beaucoup avaient connu Martel V ; pas un d’eux ne laissa même échapper un geste, mais aucun ne douta de ce qu’il voyait. Un silence mortel s’étendit