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dément, il semblait parler avec une animation fébrile. Parfois il s’arrêtait avec des gestes véhémens, les yeux dans le vide, comme s’il se fût adressé à quelque personnage imaginaire qu’il voyait devant lui. D’autres fois il frappait sur l’épaule de Chesnel, paraissant le prendre à témoin de ce qu’il venait de dire, et Chesnel répliquait. Le marquis alors demeurait muet et immobile. Violante approchait ; il se mit à la regarder de loin, puis fixement, quand elle ne fut plus qu’à dix pas. Il ne la salua ni d’un signe ni d’un sourire : ne la reconnaissait-il point ? Il reprit tout à coup son discours étrange. Violante en entendit les derniers mots. — Que me veulent ces contes ? disait-il. Je suis un homme de mon temps, je ne crois plus aux légendes ; c’est Lesneven qui a frappé mon aïeul, il a retourné contre lui sa propre épée ! Qu’y a-t-il donc là qu’on ne doive point croire ? Ne peut-on m’arracher mon épée et s’en servir ensuite contre moi-même ? C’est ainsi que Martel Ier est mort.

— Celui qui a dit le contraire, fit Chesnel, méritait bien d’être enfermé.

— Je veux remettre à mon doigt le brillant de Martel Ier, reprit le marquis. Où est ce diamant ?

— Vous l’avez donné, dit Chesnel.

Le marquis tressaillit. Ses yeux hagards se jetèrent vers sa femme, il lui saisit la main. Il la reconnaissait maintenant ! — Je m’en souviens, dit-il, ce diamant, le jour de notre mariage, c’est à elle que je l’ai envoyé ; c’est toi qui le portais, Chesnel… Violante, ne me quittez plus…

— Vos mains ont le froid du marbre, reprit-il, la pluie a débouclé vos cheveux.

— Nous avons appris que madame la marquise Violante s’était mise en promenade sous ces vilaines nuées, dit Chesnel ; nous sommes venus à sa rencontre.

— Oui, fit Martel, c’est moi qui l’ai voulu, car je me passerais aisément de la lumière du jour, mais je ne saurais un instant me passer de votre présence. Je vous aime. Violante. Pourquoi me regardez-vous de cet air de blâme ?

— Ce n’est point du blâme, répondit Violante d’une voix étouffée, c’est de la tristesse et du doute. Je ne veux point cesser de croire que votre tendresse pour moi n’est plus la même. À quoi me sert-il d’ailleurs que vous m’aimiez, puisque vous faites justement ce que vous feriez, si vous ne m’aimiez pas ?…

— Que sais-je ? que sais-je ? s’écria-t-il. Mon âme est comme un cheval furieux et fidèle. Mettez-lui le mors, il renversera tout, mais vous le vaincrez avec une caresse. Ne demandez plus de compte de mes pensées, je ne peux plus vous en rendre. Combattez-les, écra-