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REVUE DES DEUX MONDES.

Des rêves, et je n’avais haï que des ombres. Vous m’êtes apparue comme la beauté vivante, et pourtant hier j’avais fait le serment de mettre entre vous et moi l’espace sans fin ; mais je ne sais quelle puissance m’a ramené cette nuit vers votre château. Je voulais dire adieu du moins aux pierres qui vous gardent ; je vous ai revue !

— Et vous ne songez plus, dit Violante, à tenir votre serment.

— Dites-moi d’où viennent ces larmes que vous versiez tout à l’heure ?… Mais non, je ne vous le demande point. Ah ! j’ai oui dire que le cœur se trompait quelquefois. On peut prendre pour de l’amour ce qui n’était qu’un aveuglement de générosité sublime. Votre bonheur a-t-il déjà cessé, madame ? Il n’est pourtant vieux que de trois mois ; mais vous saviez, en épousant le marquis de Croix-de-Vie, que les mauvais jours devaient venir. Le marquis ne peut-il pas rencontrer un autre Lesneven sur sa route ? Se fureurs mystérieuses se réveilleront alors et ne s’éteindront plu si tôt.

— Monsieur, s’écria Violante, le marquis de Croix-de-Vie dédaigne vos insultes.

Lesneven secoua la tête. — Ce n’est que vous que je crains d’offenser, dit-il.

Au lieu de s’éloigner, il fit pourtant un pas vers la croix. Magnus grondait. Lesneven regardait Violante. — Votre manteau ruisselle de pluie, lui dit-il d’une voix tremblante ; vous frissonnez, et vos mains se glacent contre cette pierre. Votre corps est brisé, votre âme est abattue…

— Partez, monsieur ! fit Violante.

— Non ! s’écria-t-il. J’avais juré départir, je fais le serment contraire. Je ne sais quelle folle confiance se lève dans mon cœur. Je ne partirai pas, car je vous ai vue pleurer…

Il disparut sous la chênaie. Violante le suivait du regard. Elle ne se tenait plus appuyée au bras de la croix, les derniers mots de Lesneven l’avaient soudainement ranimée et lui rendaient de la force ; il lui semblait que ces mots cruels demandaient justice. La confiance, avait-il dit, il n’avait osé dire l’espérance, renaissait dans son cœur : l’espérance que le marquis de Croix-de-Vie reviendrait à ses fureurs héréditaires, l’espérance qu’il mourrait comme ses aïeux, et qu’elle, la marquise, redeviendrait libre. Eh ! qui sait ? Lesneven se flattait peut-être qu’elle pourrait l’aimer quelque jour. Dérision, aveuglement, cruauté stupide ! Après Martel aimer Lesneven ! L’ancien garde-général avait été plus modeste une autre fois. Lors de leur première entrevue, Violante s’en souvenait bien, auprès de ces charmilles de Bochardière dont il parlait sans cesse, il lui avait dit en la quittant : Vous aimez le mar-