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REVUE DES DEUX MONDES.

Ce filet tremblant de lumière qui pénétrait par ces hautes fenêtres se heurtait à l’or des vieux cadres accrochés au mur. Il y en avait là une longue suite ; les premiers ancêtres, les Siochan, qui avaient tressé de leurs mains de fer le berceau de cette grandeur fatale, puis leurs héritiers, riches de leurs travaux et de leurs peines, les heureux et puissans Robert, et puis les Martel sans doute… Violante demeura d’abord près du seuil. Elle était vêtue de blanc ; si Martel était là, il devait la voir. Elle prêta l’oreille ; rien que le silence dans cette tombe ouverte… Elle avança, elle avait dépassé déjà les trois premières croisées ; rien. Elle fit quelques pas encore. Tout à coup ses yeux distinguèrent dans l’ombre une forme assise. — Martel ! — Il ne répondit point. Elle s’élança, c’était bien lui, assis près d’une grande table. — Martel ! — Le marquis se redressa tout d’une pièce ; sa main en même temps écartait brusquement un objet qui était sur la table devant lui. — Laissez cela, s’écria Violante en le repoussant de toute sa force.

— Quoi ! fit-il, c’est ma carabine, vous le voyez bien, ma carabine de chasse. Violante !…

Elle s’était saisie de l’arme et la tenait serrée. Il voulut la lui arracher. Dans la lutte, la main de la jeune femme pressa la détente ; la balle siffla, puis on entendit un bruit sec ; elle avait dû pénétrer dans le cadre de l’un des portraits. Violante n’avait pas poussé un cri. Martel l’enveloppa de ses bras, elle était glacée. — Violante, murmura— 1— il d’une voix tremblante et basse, cette arme était chargée depuis ma dernière chasse, depuis trois mois.

— Écoutez ! fit Violante.

Un grand bruit, des cris, des pas résonnaient dans le château. — On a entendu le coup de feu, dit Violante, on vient. Votre chambre d’autrefois n’est-elle pas au bout de cette galerie ? Il faut vous y tenir caché.

— Caché ! s’écria-t-il. Pourquoi ?

— Voulez-vous donc que l’on sache ce que vous faisiez ici devant cette table ? répliqua— t-elle. Ah ! ne vous défendez pas. Ce n’en est pas le moment. Allez dans cette chambre, je vous en prie. Je sais que mes prières et mes désirs n’ont plus guère d’effet sur votre cœur. N’importe ! vous me devez une complaisance pour le mal que vous venez de me faire ; entrez dans cette chambre.

— Je vous obéis, dit Martel.

Les pas approchaient. Deux ou trois valets effrayés couraient en avant, portant des flambeaux. La douairière entra soutenue, portée plutôt par Chesnel. M. de Bochardière la suivait. Violante était debout, au milieu de la galerie ; la carabine gisait sur le tapis, à ses pieds.