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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

vraiment la loi évangélique, il n’est pas surprenant qu’elle soit persécutée par l’église charnelle, comme l’Évangile le fut par la synagogue ; qu’il faut que l’église charnelle, pour mettre le comble à ses crimes, condamne la règle de Saint-François ; que cette loi alors, mieux accueillie par les Grecs, les Juifs, les Sarrasins, les Tartares que par les Latins, reviendra avec ces nouveaux auxiliaires pour écraser Rome, qui n’a pas voulu la recevoir ; que cette église communément appelée universelle, catholique et militante, est la Babylone impure, la grande prostituée, que la simonie, l’orgueil et tous les vices précipiteront dans l’enfer, ainsi que l’altière Vasthi a été répudiée et l’humble Esther couronnée. L’église charnelle alors se desséchera, dévorée par la haine ardente qu’elle aura vouée à la doctrine des saints.

Nous verrions autour de Pierre-Jean d’Olive une foule d’hommes rempli d’un zèle ardent et pur prêcher plus fermement que jamais la réforme du monde par la pauvreté, et leur mémoire rester suspendue entre la canonisation et l’anathème, selon que l’admiration excitée par leur noble caractère ou l’horreur de leurs témérités l’emporte, hérétiques pour les uns, saints à miracles pour les autres. Au XIVe siècle, les mêmes prétentions relevées par Ubertin de Casai, frà Dolcino, Michel de Césène, acquièrent une importance politique et sociale toute nouvelle par l’alliance de la partie exaltée de l’ordre de Saint-François avec Louis de Bavière. Une fois encore nous verrions la question de la pauvreté diviser le monde chrétien, allumer des bûchers, créer un anti-pape ; nous verrions un général des frères mineurs, Michel de Césène[1], défendre la pensée franciscaine contre la papauté, et chercher hors de l’église un appui contre l’église, qui le condamnait. Le tiers-ordre de Saint-François nous paraîtrait comme le foyer principal d’où émanaient ces sectes moitié religieuses, moitié laïques, dont l’ambition effraya l’église et la société civile : béguins, fratricelles, frérots, bizoques (binzorchieri, frères bis, bisets), barbozati, frères pyes, frères agaches, frères aux sacs, frères de la pauvre vie, flagellans, frati gaudenti, lollards, apostoliques, apôtres même (car ils allaient jusqu’à se donner ce nom), auxquels correspond l’apparition de plusieurs messies apocryphes, prétendues incarnations du Saint-Esprit, tels que Gonzalve de Cuença[2]. Qu’une pensée hardie et populaire se cachât sous ces dehors monastiques, c’est ce qu’on ne saurait mettre en

  1. Les doctrines de Michel de Césène étaient mot pour mot celles de Joachim, telles que les interprétaient Jean de Parme et Gérard de San-Donnino, V. Baluze, Miscell., t. I, p. 272 et suiv.
  2. Cf. Direct, inq., p. 200 ; d’Argcntré, I, p. 176 ; Schmidt, Hist. des Cath., fréquemment, et surtout la Summa de hœresibus de Gui de Perpignan (Paris, 1528, in-fol.).