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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

procès-verbaux d’Anagni semblent donner les paroles des deux auteurs comme indivises. Un accord parfait existe, du reste, entre les idées contenues dans les notes de Gérard citées par la commission d’Anagni et les idées du Liber introductorius. Toutes ces notes sont écrites dans le sens de Jean de Parme et de la fraction exaltée de l’ordre de Saint-François. L’antipathie contre la papauté temporelle, la haine contre le clergé riche, la croyance que l’abomination finale viendrait d’un pape mondain et simoniaque, la fixation de cette date fatale à l’an 1260, la croyance que l’apparition de l’antechrist est proche et qu’il s’élèvera de Rome, saint François désigné comme le rénovateur du siècle et Joachim présenté comme son précurseur, ce sont là autant de traits qui appartiennent, à n’en pas douter, à l’école qui, vers le milieu du XIIIe siècle, releva le nom de Joachim pour appuyer ses projets de réforme sociale et religieuse. Plusieurs des propositions de cette école relevées par Salimbene[1] et par Jean de Meung[2] se retrouvent textuellement dans les fragmens de Gérard dont nous devons la conservation aux rapporteurs d’Anagni.

Quant à la part respective de Jean de Parme et de Gérard dans la composition de l’Introductorium, nos documens ne disent rien à cet égard. Le passage où « l’auteur » se met au nombre des douze anges de saint François conviendrait mieux à Jean de Parme qu’à Gérard. Les rapports ne nomment que Gérard, sans doute parce que l’on voulut ménager le général des franciscains. Salimbene, de son côté, fait tout peser sur Gérard, et met beaucoup d’affectation à montrer comment l’ordre a su punir de tels écarts[3]. Il ne peut nier cependant que Jean de Parme n’ait été joachimite décidé, et ne se soit créé par de telles opinions beaucoup de difficultés[4]. Plus tard, Nicolas Eymeric, en sa qualité de dominicain, n’ayant plus les mêmes motifs de réserve, met purement et simplement sous le nom de Jean de Parme la liste d’erreurs qui constituait la doctrine de « l’Évangile éternel. » Certainement Jean de Parme fut en un sens l’apôtre et le principal interprète des doctrines qui cherchaient à s’autoriser du nom de l’abbé Joachim. Toutefois rien n’autorise à croire que Jean de Parme ait participé directement à la rédaction du livre poursuivi de tant d’anathèmes. À l’égard de Gérard de Borgo San-Donnino, les preuves sont positives. Frà Salimbene, son confrère, son compatriote et son ami, l’accuse à plusieurs reprises d’avoir composé un livre déplorable

  1. p. 123, 240.
  2. Roman de la Rose, vers 12014 et suiv.
  3. P. 103,203,235.
  4. P. 98,124,131 et suiv.