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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.


« Le Seigneur dégainera son épée, car l’empire des Allemands a toujours été pour nous dur et cruel. Il faut donc que le Seigneur le renverse par le glaive de sa fureur, afin qu’au bruit de sa ruine tous les rois tremblent[1]. »


Et ailleurs :


« L’armée des Chaldéens combattant contre Jérusalem et Juda, à l’exception de Lachis et d’Azecha, représente les Allemands et les autres persécuteurs armés contre l’église romaine et les cités latines de l’Italie, à l’exception de celles qui sont fortes par le peuple ou qui ont su se concentrer en elles-mêmes[2], Le schisme de l’église et de l’empire, commencé par les Normands, se consommera par les Allemands, dont les flots étoufferont la liberté des pontifes, — en sorte que l’empire, qui servit d’abord à élever l’église, en sera la ruine aux derniers jours[3]. »

« L’empire des Chaldéens, dit-il encore, tend au néant. L’aigle viendra, comme dit la sibylle Erythrée, léopard par la férocité, renard par la fraude, lion par la terreur. Sous prétexte de réprimer les patarins, il marche traitreusement contre l’église, et malgré la résistance de l’Italie, malgré les anathèmes de l’église, il satisfait sa rage. Quels seront les maux qui pèseront alors sur la Ligurie et sur toute l’Italie, il sera plus facile de le sentir que de le dire. Sous l’effort des Germains et des Francs, toute la noblesse romaine périra ; le pontife sera banni, les monastères seront renversés, le culte chrétien sera effacé de la terre. »


La France n’excite pas moins les appréhensions du prophète ultramontain :


« Que l’église y prenne garde ! L’alliance de la France est un roseau qui perce la main de celui qui s’y appuie[4]. »


Sans doute les personnes les mieux disposées à reconnaître en Joachim le don prophétique admettront difficilement qu’il ait pu partager à un si haut degré les passions d’un siècle dont il n’a vu que les premières années. Une dernière preuve suffirait, s’il en était besoin, pour démontrer notre thèse. L’ouvrage dont nous parlons est dédié à Henri VI, qui mourut en 1197 : il a dû par conséquent être composé avant cette époque. Or, dans la liste de ses écrits dressée en 1200, Joachim ne fait aucune mention du « Commentaire sur Jérémie. »

  1. Fol. 46 et 62 (Ven. 1525). Cette édition paraît tronquée en quelques passages. Le texte cité par dom Gervaise (Histoire de l’abbé Joachim, p. 357 et suiv.) est plus complet.
  2. « Exceptis illis quæ vel fortes populariter sunt, vel quæ esse appetunt in suis munitionibus singulares. »
  3. Fol. 58 V. — Comparez 53 v.
  4. « Videat generalis ecclesia si non fiet ei baculus arundineus potentia gallicana, cui siquidem si quis nititur perforat manum suam. » Voir la chronique De rebus in Italia gestis, publiée par M. Huillard-Bréholles, p. 257 ; cf. ibid., p. XXXVI.