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ejus, id est Joachim (fol. 105) ; mais ces extraits ne renferment que des arguties théologiques d’un médiocre intérêt.

Peut-être faut-il aussi regarder comme appartenant à Joachim deux hymnes sur le paradis, l’une en vers saphiques, l’autre en vers trochaïques, que l’on trouve dans les éditions de ses œuvres à la suite du « Psaltérion décacorde. » La seconde de ces compositions, présentant le récit d’un voyage dans le monde surnaturel, est curieuse comme antécédent de la Divine Comédie[1].

Abordons maintenant la discussion des ouvrages qui ont été attribués à Joachim, et que la critique peut ou doit lui contester.

Le plus important est le Commentaire sur Jérémie[2], censé dédié à l’empereur Henri VI et imprimé plusieurs fois à Venise. Le caractère de cet écrit est fort différent de celui des ouvrages authentiques de Joachim. Quand Joachim veut être prophète, il l’est sobrement et avec réserve. Il ne nomme personne ; les événemens sont à peine indiqués ; l’ampleur du style biblique lui permet ces phrases vagues qui deviennent prophétiques quand les événemens s’y prêtent, sans être compromettantes quand les faits prennent un autre tour. Le « Commentaire sur Jérémie » au contraire est d’une extrême précision. Les allusions aux événemens du XIIIe siècle y sont évidentes. Frédéric II, qui n’avait que deux ans à l’époque où Joachim aurait écrit cet ouvrage, est déjà désigné par les métaphores habituelles à ses ennemis, vipera, regulus. Son règne est présenté comme celui d’un tyran ennemi de l’église, destructeur de ses privilèges, persécuteur de ses ministres, d’un nouvel Evilmérodach qui s’assoira dans le temple et se fera adorer comme dieu.


« Dans son enfance, dit le prophète, il paraîtra doux et aimable, il sera allaité des mamelles de l’épouse de l’agneau ; mais dans la suite, comme un autre Balthazar, il ne suivra que la fougue de ses passions et profanera avec des femmes les vases sacrés du temple de Dieu. Mais parce que vous me demandez quelle sera sa fin, écoutez Isaïe qui vous l’apprendra. Une épée non humaine le renversera, une épée qui n’est autre que le glaive de la parole de Dieu l’exterminera, afin que vous sachiez que Dieu n’a pas besoin de la main des hommes pour tirer ce monstre de sa caverne. »


Le guelfe du XIIIe siècle se révèle ensuite dans ces curieuses paroles :

  1. Ni M. Ozanam, ni M. Labitte, ni M, Thomas Wright n’ont, je crois, parlé de cette pièce dans leurs travaux sur les origines de la trilogie dantesque.
  2. Depuis la composition de ce travail, a paru, dans la Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie de M. Hilgenfeld (2e année, Iena, 1859), un mémoire de M. Karl Friderich relatif à ce commentaire et au « Commentaire sur Isaïe, » également attribué à Joachim. M. Friderich est arrivé au même résultat que nous sur la question d’authenticité.