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quilibre européen. Partout et à chaque instant sur notre vieux continent, les principes de liberté viennent donc se heurter encore contre les questions de forces, il faut perpétuellement veiller au plus pressé, et malheureusement quand on a près de soi des potentats qui peuvent, par une volonté secrète et discrétionnaire, mouvoir et porter où ils veulent des masses armées, le plus pressé, c’est de se mettre et de se tenir toujours en état de leur résister et de les vaincre, c’est d’établir au-dessus de toutes les surprises et de tous les hasards les garanties de l’indépendance nationale. Si l’Allemagne se constitue sous un gouvernement qui ne pose pas des limites suffisantes au pouvoir royal et qui puisse tirer d’elle des armées inépuisables, il faut, avant tout, que la France étende, elle aussi, sa fécondité en soldats. La France a un autre moyen de défendre l’équilibre à son profit : c’est un franc retour aux pratiquais de la liberté, c’est l’ébranlement moral qu’elle communiquerait à toute l’Europe par la propagande des idées et la contagion de l’exemple. Il est permis d’affirmer à ce point de vue que le jour est proche où ce qui a été appelé métaphoriquement chez nous le couronnement de l’édifice sera, non plus le rêve de quelques libéraux élégiaques tels que nous, mais le devoir impérieusement tracé par le patriotisme. La France doit enfin travailler à se rallier d’abord les forces nouvelles qui viennent de se produire ou du moins à les contre-balancer, si elles lui devenaient contraires, par un système fédératif prudemment étudié et attentivement dirigé.

Le système fédératif de la France, voilà en ce moment quel doit être l’objet des méditations les plus graves. Combien ici le champ du possible est étroit! et que le choix des alliances est difficile! Il serait commode de pouvoir imiter l’Angleterre, de pouvoir se dégager de toute pensée d’alliance systématique, d’avoir de grands intérêts dans un autre hémisphère, de rester indiffèrent à cette Europe continentale où la barbarie côtoie encore la civilisation, où les choses neuves ont tant de peine à naître et à vivre, où les vieilles choses ont tant de peine à mourir. L’Angleterre a confessé par la bouche de ses nouveaux ministres l’exactitude du jugement que nous portons sur elle depuis longtemps : elle est plus asiatique, plus américaine, plus australienne qu’européenne. Elle ne nous donnera des signes de sollicitude et d’activité qu’à la prochaine explosion de la question d’Orient : jusque-là, il n’y faut point songer. La Russie! que pouvons-nous avoir de commun avec elle? Ses intérêts en Orient ne sont point analogues aux nôtres, la Pologne est entre elle et nous une cause latente de froideur; puis elle ne semble avoir aucune vitalité vraiment civilisatrice, elle reste dans une inertie antipathique à l’esprit moderne. L’Autriche non plus n’est guère une alliée désirable; au point de vue de la force, on ne sait trop ce qu’elle peut valoir encore après les désastres qu’elle vient de subir; au point de vue de la constitution intérieure, tout demeure chez elle à l’état confus et problématique. Il n’y a de sève, il en faut bien