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Quoi qu’il en soit des pourparlers relatifs à un remaniement de frontières, ce n’est point là qu’est l’oreiller sur lequel il convient à la France de s’endormir. Avant tout, ce qui importe à la France, c’est d’avoir une idée claire de la situation qui lui est faite et de ne point se laisser détourner par frivolité et insouciance de l’observation attentive des procédés à l’aide desquels la politique prussienne va opérer la reconstitution de l’Allemagne. Pour avoir pris acte, avec une émotion patriotique dont nous ne songeons point à nous défendre, de la situation que les derniers événemens ont faite à la France, nous avons, quant à nous, encouru deux sortes de reproches, les uns venant de ceux qui ont été chez nous les fauteurs de la guerre, les autres émanant de la presse étrangère, que comble de satisfaction la perspective de l’unification de l’Allemagne et des embarras que cette révolution peut susciter à la France. Il n’est peut-être pas inutile, pour l’éclaircissement de l’état réel des choses, de répondre à ces deux ordres de critiques.

Commençons par prendre acte des balbutiemens où s’étourdissent en France les instigateurs de la dernière guerre, les partisans aujourd’hui décontenancés de l’alliance italo-prussienne. Déroutés par les événemens, ces politiques, qui avaient pris faussement les couleurs de la démocratie et du patriotisme, essaient de se tirer d’affaire par une altération nouvelle de la vérité. Ils ne parviennent point à dissimuler l’inquiétude que leur inspire la grandeur improvisée de la Prusse, à laquelle ils ont si naïvement conspiré : ils comprennent qu’un fait aussi énorme ne peut laisser la France indifférente, et que l’œuvre à laquelle ils ont travaillé porte ombrage au patriotisme français; mais, pour échapper aux étreintes de la responsabilité qu’ils ont assumée, ils essaient d’une calomnie. Ils accusent ceux qui n’ont point secondé de leurs vœux les agrandissemens de la Prusse de pousser la France à la guerre. «Nous étions belliqueux il y a deux mois, disent-ils, nous sommes pacifiques aujourd’hui. » Ils osent affirmer que ceux qui étaient pacifiques il y a deux mois sont belliqueux aujourd’hui. Cette accusation est purement calomnieuse. L’été n’a pas rendu belliqueux les pacifiques du printemps dernier. Personne, ni directement ni par insinuation, n’a demandé que la France prît inconsidérément et tout à coup les armes contre la Prusse. Personne n’a voulu lancer la France « dans une partie mal engagée et mal préparée, » puisque partie il y a, et que tel est le noble mot dont des écrivains humanitaires désignent les sanglans caprices de la guerre. Nous n’avons fait que prendre acte des résultats de la guerre où vous avez joué le généreux rôle de parieurs. Vous vous ravisez aujourd’hui : la faute malencontreuse, dites-vous, a été de parier, il fallait prendre soi-même le jeu; il fallait que la France s’unît à la Prusse et à l’Italie pour accabler l’Autriche. Ces regrets après coup sont superbes. Il n’y a qu’un malheur, c’est qu’ils sont contradictoires. Si le gouvernement français se fût inspiré des conseils posthumes qu’on exprime, s’il fût sorti de la’ neutralité, s’il eût cru que l’honneur lui permît de prendre part à une triple alliance con-