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les minuties de la controverse diplomatique ne nous le fassent point oublier.

D’ailleurs la négociation sur une rectification de frontières ne saurait donner lieu encore qu’à des conjectures vagues et oiseuses. Peut-on savoir au juste de quoi il s’agit? Est-ce d’une proposition inattendue pour la Prusse? M. de Bismark n’y aurait-il pas été préparé par d’anciens pourparlers? Est-ce une ouverture générale ou une réclamation précise? Les uns veulent qu’il soit question de la grande frontière du Rhin; d’autres, moins hardis, ne parlent que d’un retour à la frontière que les alliés nous avaient laissée en 1814. On sait que les négociateurs français du traité de Paris obtinrent pour nous en 1814 la conservation de quelques territoires en sus de nos limites de 1792. Nous eûmes ainsi, outre Landau, Sarrelouis du côté de l’Allemagne, Philippeville et Mariembourg du côté de la Belgique et une portion de la Savoie. Les désastres de l’entreprise des cent-jours nous firent perdre ces annexes en 1815. Aujourd’hui nous avons la Savoie entière. Parmi les petites possessions que nous aurions à recouvrer pour rentrer dans les limites de 1814, les unes font partie de la Belgique, les autres appartiennent à la Bavière. La Prusse ne détient que le district de Sarrelouis, important par ses richesses houillères. Si ce sont là les acquisitions qui sont réellement en jeu, comme il faudra prendre quelque chose à la Belgique et lui procurer une compensation, retirer quelque chose à la Bavière et lui trouver un équivalent, et comme pour donner à cela une forme légale et correcte il sera peut-être nécessaire que la nouvelle organisation allemande soit achevée, on ne saurait s’attendre à une prompte conclusion de l’affaire. Nous n’avons nul besoin de dire que, si cette conjecture était conforme à la vérité, il faudrait s’en féliciter. Ce n’est pas, à proprement parler, un grand dommage, c’est un mauvais souvenir de 1815 qui serait effacé; la cour de Berlin reconnaîtrait ainsi à bien peu de frais le concours indirect (lue nous avons prêté à ses succès. M. de Bismark serait fort aimable dans le triomphe, s’il ne nous marchandait pas cette gracieuseté. Il ne faudrait point parler à ce propos de compensation pour la France des avantages obtenus par la Prusse en Allemagne. Si on plaçait ainsi les choses sur le pied d’un règlement de compte, on nous donnerait là non un prix de chevalerie, mais des honoraires de notaire. Cependant, aux termes de l’amitié où nous sommes avec la Prusse, comment se ferait-il que la demande de la France lui eût été communiquée avec une certaine solennité? Pourquoi la note présentée, dit-on, à M. de Bismark la veille de l’ouverture du parlement prussien? Faut-il expliquer par l’embarras qu’aurait causé une ouverture imprévue le silence que le roi de Prusse a gardé dans son discours sur la France et par conséquent sur toutes les autres puissances? Ainsi trotte l’imagination des anecdotiers. L’anecdote politique a du sel quand elle porte sur des faits réels; mais l’anecdote conjecturale serait par trop insipide et sotte.