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rable, jusque dans les îles d’Anaphi et d’Astympalée; mais c’est à Santorin que les effets se sont plus particulièrement manifestés. Fréquemment les vents du nord-ouest y ont apporté des nuages de fumée chargés d’acide sulfhydrique. On voyait alors, en peu d’instans, les objets en cuivre devenir noirs, ceux en fer se ternir et s’oxyder, et toutes les peintures dans la composition desquelles il entrait du cuivre ou du plomb changer rapidement de couleur. Au-dessus de la porte du collège des lazaristes, il existait dans une niche une statue de saint Joseph peinte à la céruse. Pendant de longues années, elle était restée parfaitement intacte; mais dans le courant du mois de février, les émanations sulfhydriques du volcan ayant été poussées de ce côté par le vent pendant une nuit, la statue, qui la veille était blanche, s’est trouvée le lendemain matin complètement noire. Ces émanations, qui répandaient sur la ville de Santorin une odeur fétide, occasionnaient aussi aux habitans des nausées et de violens maux de tête. Elles paraissent également avoir exercé une action fâcheuse sur la végétation ; ceci est cependant douteux.

Quant aux cendres, qui bien souvent ont été chassées par le vent sur les vignes de l’île, on ne peut en nier l’influence délétère immédiate. Ces cendres, chargées de sels de soude et imprégnées d’acide chlorhydrique, produisaient à la surface des feuilles une sorte de cautérisation. Cet effet nuisible a surtout été sensible dans certains cas où la chute des cendres s’est faite sur des feuilles mouillées par la rosée ou par la pluie. Il est arrivé alors que l’action caustique a été assez vive pour amener une perforation complète des feuilles dans les points humectés; mais jamais cette action désastreuse ne s’est étendue sur une grande surface, et dans les endroits où la vigne a le plus souffert, l’altération n’a pas été assez profonde pour l’empêcher de reprendre au bout de peu de temps l’apparence la plus belle. Il faut en outre mentionner ce fait important, que l’oïdium, qui, les années précédentes, faisait le plus grand tort aux vignes de Santorin, a presque entièrement disparu en 1866, ce qui ne peut guère être attribué qu’à l’action des fumées sulfhydriques. Enfin les cendres, dans la composition desquelles il entre des proportions considérables de potasse et de soude, constitueront pour l’île un élément important de fertilité. Ces résultats avantageux de l’éruption en compenseront donc les inconvéniens.


III.

Les expansions du feu souterrain sont en apparence tout ce qu’il y a de plus confus et de plus désordonné, il semble que ce soit l’image du chaos; cependant, lorsqu’on étudie attentivement ces grands cataclysmes, on voit bientôt qu’ils obéissent à des lois fixes et régulières. La nature, dans ses convulsions les plus violentes, reste toujours soumise à des lois immuables, et l’ordre règne au milieu du désordre même. C’est une des gloires de la science moderne d’avoir su reconnaître la régularité qui