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doit précéder toute recherche sur le sujet qui nous occupe. Ce travail n’ayant trouvé place dans aucun recueil d’histoire littéraire ou ecclésiastique, je suis obligé de l’entreprendre ici.


II. — DISCUSSION SUR L’AUTHENTICITÉ DES OUVRAGES DE JOACHIM DE FLORE.

Dans une lettre en guise de testament datée de l’an 1200[1], Joachim, exposant avec détail l’état où se trouvaient alors ses écrits, mentionne comme terminés trois ouvrages : la Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament, le Commentaire sur l’Apocalypse et le Psaltérion décacorde, « sans parler, ajoute-t-il, de quelques opuscules contre les Juifs et contre les adversaires de la foi catholique. »

Ces trois écrits sont les seuls grands ouvrages attribués à Joachim dont l’authenticité soit bien établie. Joachim mourut le 30 mars 1202, selon l’opinion la plus probable ; en tout cas, il mourut peu après 1200. On ne peut croire qu’en ses deux ou trois dernières années il ait composé les autres ouvrages qu’on lui attribue, et qui forment à eux seuls une masse plus volumineuse que les livres dont la rédaction occupa le reste de sa vie. Luc, depuis archevêque de Cosence, qui fut son secrétaire, ne mentionne que les trois ouvrages précités[2]. Guillaume de Saint-Amour, combattant ses erreurs, n’en connaît pas d’autres[3]. Les cardinaux qui condamnèrent sa doctrine à Anagni ne citent qu’une lettre en dehors de ces trois écrits[4]. Florent, évêque de Saint-Jean-d’Acre, qui remplit les fonctions de promoteur en cette affaire, n’allègue que les trois grands ouvrages. Guillaume d’Auvergne ne mentionne que le « Commentaire sur l’Apocalypse » et la « Concorde »[5]. Enfin nous montrerons bientôt que les autres livres dont on a grossi les œuvres du saint abbé portent tous les caractères intrinsèques de la supposition.

Les trois grands ouvrages authentiques dont nous venons de parler ont été imprimés plusieurs fois, et se trouvent dans un grand nombre de manuscrits. Nous n’avons donc pas à les décrire. Il importe seulement d’observer que les éditions ont été faites avec beaucoup de négligence, et qu’il a pu se glisser dans le texte une foule de gloses et d’additions postérieures n’appartenant pas à Joachim. Il faut aussi remarquer que les six livres du « Commentaire

  1. On peut la lire en tête des éditions de la Concorde de l’Ancien et du Nouveau Testament (Venise 1519), et du Commentaire sur l’Apocalypse (Venise 1527), ou dans d’Argentré, Collectio judiciorum, I, p. 121, ou dans les Bollandistes, loc. cit., p. 104.
  2. Act. SS., t. c, p. 93.
  3. Dans Martène et Durand, Amplissima Collectio, t. IX, col. 1323.
  4. Voir ci-dessous, p. 109 et suiv.
  5. De Virtutibus, c. XI, p. 152 (Paris 1674).