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l’île George n’offrait plus le caractère de bénignité habituel. Ils se mirent néanmoins à faire leurs observations accoutumées. L’un d’eux mesurait la hauteur barométrique; les autres, assis sur un bloc de lave, dessinaient ou prenaient des notes sur ce qu’ils avaient sous les yeux, quand tout à coup une épouvantable détonation se fit entendre. Une épaisse colonne de fumée noire s’éleva en tourbillonnant avec une rapidité prodigieuse, les enveloppa subitement, et leur déroba complètement la lumière du ciel. Quelques secondes après, ils étaient environnés d’une pluie de cendres et de lapilli; des milliers de pierres incandescentes tombaient autour d’eux comme une grêle brûlante. Instinctivement tous cherchèrent aussitôt leur salut dans la fuite et se précipitèrent vers le nord-ouest, abandonnant cartes et instrumens; mais il était presque aussi dangereux de fuir que de rester en place, car tant qu’on restait à découvert on était exposé à une mort presque certaine. Chacun d’eux se blottit donc immédiatement à l’abri des rochers volcaniques de l’ancien cratère. Les uns purent se réfugier derrière des roches volumineuses dont les saillies les garantirent; les autres ne découvrirent que des abris très imparfaits. M. Christomanos, par exemple, n’avait pour refuge qu’un bloc crevassé au-dessous duquel il ne put cacher que sa tête; le reste de son corps se trouvait exposé à la chute des cendres et des pierres. Il eut le bonheur de n’être atteint par aucun projectile volumineux; mais des lapilli incandescens mirent le feu à ses vêtemens, et lui causèrent une blessure profonde à la nuque. Autour de lui, tout était en feu, les pierres tombées avaient enflammé les herbes et les broussailles qui garnissaient l’ancien cratère. Un bloc projeté venait de s’abattre comme une bombe sur le rocher qui lui servait d’abri et s’y était brisé en éclats. Meurtri, blessé, ses habits à demi brûlés, M. Christomanos dut traverser le cratère en courant au milieu des flammes afin de chercher une retraite plus sûre. Un creux de rocher s’offrit à lui, il put s’y mettre en sûreté et y attendre la fin d’une seconde explosion qui se produisit alors, et fut plus terrible encore que la première. Il reprit enfin sa course vers le nord-ouest et se laissa rouler le long des pentes du cône, au milieu des rochers qui en rendent ordinairement la descente presque impraticable. Quand il arriva au bord de la mer, ses vêtemens étaient en lambeaux, ses pieds nus et sanglans, tout son corps couvert de brûlures ou déchiré par les aspérités tranchantes des rochers. Ses compagnons, arrivés avant lui sur le rivage et presque aussi maltraités, attendaient avec anxiété un canot de leur bateau à vapeur, afin de quitter la plage de Nea Kameni, où ils n’étaient pas en sûreté; mais l’Aphroessa ne possédait que deux embarcations, dont l’une était restée à Santorin depuis la veille, et dont l’autre venait d’être trouée par un bloc de lave qui l’avait coulée à fond. Pour rentrer à bord, il fallait donc attendre le retour du canot laissé à Santorin.

Le bateau à vapeur avait été lui-même très maltraité par l’explosion.