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tailleur, arrêté comme hérétique, fut conduit devant le roi, auquel on voulait donner le divertissement de la confusion et de la simplicité de cet homme; mais il répondit à l’interrogatoire royal avec sagesse et dignité. Diane de Poitiers, qui assistait à cette scène, ayant voulu prendre part à la discussion : « Madame, s’écria-t-il, contentez-vous d’avoir infecté la France, et ne mêlez pas votre ordure parmi chose si sacrée qu’est la vérité de Dieu. » La favorite se tut pour le moment; mais le 4 juillet 1549, à la suite d’une procession où Henri venait de renouveler le serment d’extirper l’hérésie, un bûcher était allumé dans la rue Saint-Antoine, en présence du roi et de Diane de Poitiers. Le pauvre tailleur y monta avec trois de ses coreligionnaires. On raconte que lorsque le supplicié aperçut le roi accoudé à une fenêtre de l’hôtel de la Roche-Pot, « il se prit à le regarder si fort que rien ne pouvait l’en détourner. » Le roi, saisi de frayeur par ce regard fixe et terrible, quitta la fenêtre, et, longtemps poursuivi par ce souvenir vengeur, jura de ne plus voir brûler d’autres condamnés. Toutefois il ne jura point de ne plus en faire brûler, et les exécutions continuèrent. Ne fallait-il pas des exactions, des supplices pour alimenter le luxe babylonien de Diane? La favorite détestait ces réformés austères qui refusaient de courber la tête devant l’idole royale, et le cardinal de Lorraine, par l’appât des confiscations, avait gagné Diane de Poitiers à sa politique sanguinaire. On décida le roi à se rendre en personne au parlement le 10 juin 1559. On y délibérait sur les moyens de ramener une jurisprudence uniforme dans les jugemens sur les hérétiques. Henri, tendant un piège et parlant de la paix des consciences, invita chacun des conseillers à s’exprimer en pleine liberté. Ceux-ci eurent l’imprudence de se fier à la parole royale. — « Ce n’est pas chose de petite importance, dit Anne du Bourg, que de condamner ceux qui, au milieu des flammes, invoquent le nom de Jésus-Christ. Eh quoi! des crimes dignes de mort, blasphèmes, adultères, horribles débauches, parjures se commettent tous les jours impunément à la face du ciel, et l’on invente tous les jours nouveaux supplices contre des hommes dont le seul crime est d’avoir découvert par les lumières de l’Écriture sainte la turpitude romaine et de demander une salutaire réformation! » Le conseiller du Faur ne fut pas moins énergique, « Il faut bien entendre, s’écria-t-il, qui sont ceux qui troublent l’église, de peur qu’il advienne ce qu’Élie dit au roi Achab : C’est toi qui troubles Israël. » On avait prononcé le mot d’adultère. Des conseillers parurent se troubler comme si le souverain venait de recevoir une injure personnelle. Le roi exaspéré ordonna au connétable de saisir de ses propres mains sur leurs bancs Anne du Bourg et du Faur, et Montmorency obéit sur-le-champ. Henri était tellement irrité contre du Bourg qu’il dit qu’il « le verrait brûler de ses deux yeux; » mais il avait compté sans la lance de Montgommery. Dix-neuf jours après la séance du parlement, le roi était atteint d’un coup mortel dans un tournoi, où il portait encore les couleurs