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III

Dans l’exposé rapide que nous avons présenté des premiers progrès de la chimie manufacturière, on a du remarquer que les deux industries principales de la soude artificielle et de l’acide sulfurique, associées dès l’origine, ont toujours marché de conserve, appuyées l’une sur l’autre. Rien ne faisait prévoir qu’elles dussent jamais s’affranchir de cette mutuelle dépendance, lorsqu’une nouvelle industrie chimique, commençant à se développer sur les rivages français de la Méditerranée, fit pressentir que les relations des deux industries fondamentales allaient subir des modifications profondes. Il s’agissait en effet d’extraire directement le sulfate de soude des résidus liquides des salines, rejetés de tout temps à la mer. On voulait aussi retirer de ces résidus certains composés riches en potassium qui nous auraient dispensés de demander à l’étranger, comme on l’avait fait jusque-là, presque toutes les potasses que nous consommions.

Tout le monde connaît l’industrie des salines : l’eau de la mer est amenée, pendant la belle saison, dans des bassins de moins en moins profonds ; elle s’y éclaircit et s’y concentre spontanément par l’évaporation. Il arrive un moment où elle est saturée, c’est-à-dire où elle contient la quantité maximum de sel qu’elle peut garder en dissolution à cette température. L’évaporation continuant, le sel cesse d’être tenu en dissolution et se dépose au fond du bassin sous la forme de petits cristaux cubiques[1]. À mesure que le sel se dépose, les matières étrangères que contient l’eau de mer se concentrent de plus en plus dans le liquide non évaporé : ce sont des sels de magnésie, de soude, de potasse et de chaux. Voici, d’après les analyses de M. Usiglio, la proportion de sels que contient un litre d’eau de la Méditerranée, puisée loin des côtes et de toute cause perturbatrice.

  1. Dans les salines du midi, un phénomène dont j’ai pu étudier toutes les circonstances à la saline de Marignane, près de Marseille, marque le moment où arrive le terme de saturation de l’eau salée. La superficie du liquide prend une teinte rouge et exhale une légère odeur de violette. Les ouvriers disent alors : la table va sauner (le bassin va donner du sel). Voici à quoi ce singulier phénomène est dû. Plusieurs petits êtres organisés, animaux et végétaux, notamment de petits crustacés branchiopodes un petit végétal microscopique globuliforme, tous deux roses (car le crustacé se nourrit du végétal et laisse voir à travers son corps transparent la couleur des globules qu’il a avalés), vivent et flottent dans l’intérieur de l’eau salée. À mesure que l’évaporation se produit, la densité du milieu dans lequel ils se meuvent augmente ; il arrive un moment où elle est assez considérable pour qu’ils ne puissent plus rester dans l’intérieur. Ils remontent alors comme ferait un morceau de liège placé au fond du liquide, ils s’élèvent à la surface de celui-ci, et y forment cette mince couche rose et odorante.