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l’on emploie, et cette erreur théorique, conséquence inévitable des idées qui régnaient à l’époque de Leblanc, fut sans influence sur le résultat de la réaction. Nous voici donc en présence du sulfate de soude, et nous avons à lui retirer l’acide sulfurique pour obtenir la soude : c’est ici que se place l’invention de Leblanc. La plupart des chimistes qui proposèrent des solutions de cette question difficile chauffaient ce sulfate de soude avec des corps divers : Leblanc eut le mérite de mettre la main sur ceux qui donnaient les meilleurs résultats ; nous voulons parler de la craie ou carbonate de chaux et du charbon. Le charbon agit ici comme agent réducteur, c’est-à-dire qu’il décompose les autres corps pour leur prendre une grande partie de leur oxygène, et forme de l’acide carbonique ou de l’oxyde de carbone gazeux. Il reste en définitive du carbonate de soude et du sulfure de calcium. Ce qu’il y a de singulier, c’est que Leblanc, pas plus qu’aucun des chimistes de son temps, ne connaissait la théorie exacte de ces réactions. Ce n’est que dans ces dernières années, et après une ingénieuse hypothèse de Thénard, mais surtout par les travaux plus récens de MM. Dubrunfaut, Pelouze, Scheurer-Kestner, Kolb, qu’on a pu la donner d’une manière à peu près complète. Malgré cela, l’instinct de l’inventeur était si sûr, les premières expérimentations furent conduites avec tant de sagacité, que les doses furent établies par Leblanc et Dizé d’une manière irréprochable, que toutes les conditions de succès furent fixées, que soixante ans d’expérience et les progrès de la théorie n’ont rien changé à l’opération manufacturière que Leblanc avait indiquée. Il avait même introduit dans les fours un excès de craie et un excès de charbon dont aucune des théories chimiques d’alors ne pouvait rendre compte. L’excès de charbon a été expliqué : une partie était brûlée dans le four sans être utilisée dans la réaction ; mais l’excès de craie a exercé de toutes les façons la sagacité des chimistes. On avait fini par admettre qu’il donnait un équivalent de chaux libre, que cet équivalent de chaux libre se combinait au sulfure de calcium et formait un hypothétique oxysulfure de calcium insoluble. On ajoutait que cette insolubilité était précieuse pour séparer parle lessivage le carbonate de soude, résultat de l’opération, de cet oxysulfure de calcium, qui en était le résidu. Cette théorie était enseignée dans tous les cours de chimie, exposée dans tous les ouvrages classiques, lorsqu’on s’aperçut que le sulfure de calcium était suffisamment insoluble pour permettre de séparer les deux corps, et qu’il n’était nul besoin, pour expliquer l’insolubilité du résidu, de recourir à la présence de l’oxysulfure. On constata ensuite que cet oxysulfure ne peut se former à la température rouge (de 950 à 1000 degrés centigrades) du four à