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trouvaient paralysés en même temps que nos plus florissantes industries ; la défense du territoire et la richesse de la France semblaient à la fois irréparablement compromises. Nous fîmes face à tout : le soufre, qu’on retirait de Sicile, fut extrait de la pyrite martiale, minerai abondant en France et qui n’est qu’un bisulfure de fer ; le salpêtre fut retiré du sol des caves ; les cloches des églises fournirent le bronze des canons. Enfin les moyens d’obtenir la soude artificielle furent trouvés, et il en résulta sur le marché français une telle abondance de cet alcali, que l’on put appliquer la soude dans une foule de cas où l’on avait employé jusqu’alors soit la potasse, soit un mélange de potasse et de soude, et consacrer à la fabrication de la poudre toute la potasse qui pouvait exister en France dans les centres d’approvisionnemens ou être retirée de notre sol. La science et le patriotisme se prêtèrent ainsi un mutuel secours ; la chimie, née de la veille, entassa découvertes sur découvertes, et de cette détresse profonde, où il semblait que la France allait succomber, sortit, au point de vue scientifique et industriel, un ordre de choses nouveau, un progrès immense, dont ne devaient pas tarder à profiter, après leur défaite, les nations coalisées elles-mêmes qui, bien involontairement, avaient déterminé un si admirable mouvement.

La fabrication de la soude artificielle est une des plus importantes et des plus belles découvertes de cette époque féconde. Les procédés qui attestèrent alors le zèle inventif des savans préoccupés de remplacer la soude naturelle se présentèrent en si grand nombre, qu’il fallut réunir une commission chargée de comparer et d’apprécier les divers systèmes. La commission, qui comptait parmi ses membres des savans comme Pelletier et Darcet, déploya une telle activité dans ses travaux, que le 2 messidor suivant elle remettait au comité de salut public, un rapport très explicite sur les procédés, au nombre de seize, sur lesquels elle avait fait des expériences, et qui lui avaient été présentés par les citoyens Leblanc, Malherbe et Athénas, Alban, Daguin, Chaptal et Bérard, Guyton, député à la convention nationale, Carny, Ribeaucourt. Dans le courant de thermidor, la commission présentait un supplément au rapport précédent ; elle y rendait compte de trois nouveaux procédés présentés par les citoyens Souton, Duboscq et Huon, Valentino et Lorgna. On le voit, ni commissaires ni inventeurs n’avaient perdu de temps. Tous les travaux antérieurs, toutes les découvertes poursuivies dans le silence des laboratoires sortaient comme de dessous terre au moment de la crise.

Chose remarquable, parmi des procédés si divers et si nombreux, ; la commission discerna du premier coup celui que l’expérience d’un demi-siècle devait consacrer comme le meilleur. C’était le