Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doux et plus sensé que le capitaine Machonochie parvint à lui substituer est mis en relief d’une manière frappante dans un des plus sombres drames que l’histoire des bagnes ait jamais pu enregistrer. Nous abrégerons simplement cet épisode, raconté dans un recueil périodique, longtemps après la mort du capitaine Machonochie, par un témoin dont aucune préoccupation personnelle n’affaiblit l’autorité.

Charles Anderson, né à Newcastle, eut pour père un marin qui se noya, laissant une veuve et deux garçons en bas âge ; la veuve mourut ; les enfans, abandonnés, furent envoyés à la work-house. Vers sa neuvième année, Charles s’embarqua comme mousse à bord d’un bateau charbonnier, où son rude apprentissage s’acheva dans les conditions les plus rigoureuses. Puis, devenu matelot à bord d’un navire de guerre, il prit part à la bataille de Navarin. Blessé grièvement à la tête dans le cours de cette mémorable journée, il guérit cependant, mais resta sujet à une grande excitabilité nerveuse que tout excès de boisson et tout mouvement de colère portaient aux limites de la fureur. Une rixe à la suite de laquelle deux ou trois boutiques avaient été forcées par quelques-uns de ses camarades, comme lui pris de vin, le conduisit devant les assises de Devonshire, où, personne ne prenant sa cause en main, il fut condamné comme voleur, avec circonstances aggravantes, à sept années de déportation ; il avait alors dix-huit ans. Ce châtiment, tout à fait hors de mesure avec un délit dont il n’avait pour ainsi dire pas conscience, livra son âme ulcérée aux plus fatales inspirations. Il ne pouvait rien comprendre à son étrange destin, et ses souffrances physiques, presque sans trêve, ne lui laissaient ni patience ni soumission. Les rigueurs dont on usait pour le réduire ne faisaient que le révolter et l’endurcir. Il les subissait, impassible, quand toute résistance était devenue chimérique. En le voyant intraitable, indomptable par la sévérité, peut-être aurait-on pu essayer de la douceur et des bons procèdes. Personne, à cette époque, n’y songea.

Il avait été transporté dans la Nouvelle-Galles du Sud. Dès son arrivée à Sidney, signalé comme particulièrement réfractaire, on le plaça sur un îlot rocailleux, célèbre dans les annales de la discipline pénitentiaire, l’île des Chèvres, située au milieu du port. Après deux mois de mauvais traitemens, à bout de résignation, il essaya de se dérober à ses impitoyables geôliers. Arrêté dans les rues de Sidney, traîné aux casernes, il reçut cent coups de fouet pour cette première tentative ; on le condamna de plus à un an de fers. Avant que l’année fût arrivée à son terme, il avait déjà reçu en diverses occasions, pour d’insignifiantes infractions au règlement,