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déshonneur l’emploi de la force armée dans une prison. Un bon choix de subalternes lui avait permis d’en diminuer le nombre, et d’arriver peu à peu à faire surveiller les détenus par les détenus eux-mêmes. Pour chaque centaine de prisonniers, il n’avait qu’un surveillant, pris parmi les sous-officiers en retraite, et celui-ci se créait une sorte d’état-major trié parmi les criminels placés sous son autorité. Quatre cabos primeros, secondés par quatre cabos secondos, constituaient cette bizarre hiérarchie, dont on se disputait les grades, devenus comme autant de preuves honorifiques. La bonne conduite, l’assiduité au travail avaient pour récompense une remise sur la durée de la peine ; mais la libération n’était qu’une faveur tout à fait arbitraire, et non pas un droit sanctionné par l’usage : on ne l’accordait qu’à ceux dont l’industrie était un gagne-pain assuré, à ceux qui, souvent éprouvés, s’étaient montrés capables de résistance consciencieuse et munis de fortes résolutions. Par son ascendant moral, par son infaillible sagacité, Montesinos en était venu à pouvoir laisser sortir et circuler librement par la ville le plus grand nombre de ses prisonniers, sans avoir à craindre leur évasion. Il les envoyait par centaines dans tel ou tel atelier extérieur, sous la conduite d’un seul adjudant. Ces merveilleux résultats ayant attiré sur lui l’attention du gouvernement espagnol, le colonel fut promu à l’inspection générale des prisons. Sa nomination coïncida malheureusement avec des réformes légales qui devaient paralyser en partie ses moyens d’action. Le nouveau code criminel, on ne sait par quels motifs, multipliait les condamnations à vie. Il interdisait aux directeurs des prisons ces atténuations salutaires, ces adoucissemens bien entendus par lesquels on pouvait réveiller une espérance dans des cœurs abattus, et stimuler, récompenser les premières victoires de la régénération morale. A partir de ce moment, on vit décroître l’ardeur des condamnés, leur désir d’apprendre un état qui leur permît de vivre honnêtement, le point d’honneur qu’ils mettaient à mériter soit un grade, soit une délivrance anticipée. La routine d’une subordination établie depuis longtemps les maintenait seule au travail ; mais la tâche quotidienne s’accomplissait mécaniquement, sans zèle, sans élan, comme sans espoir. Épris de son système, dont les résultats lui démontraient l’excellence[1], et ne pouvant surmonter les obstacles qui en entravaient l’application, le colonel, après vingt années d’utiles et glorieux services, crut devoir résigner les fonctions dont il avait été investi.

  1. Les récidives annuelles, pour les libérés de la prison de Valence, étaient tombées de trente-cinq à deux pour 100. Tous les détails ci-dessus sont empruntés au livre de M. Hill, recorder du grand-jury de Birmingham. (Repression, of Crime, p. 532, 571.)