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vertu de l’ancienne condamnation qui continue à peser sur lui… » Reste à savoir comment l’autorité centrale, se privant à plaisir du concours de la police, pouvait avoir l’œil sur les démarches quotidiennes, la conduite privée, les relations habituelles de plusieurs milliers d’individus obscurs, mêlés à la tourbe infime du prolétariat, et si elle était hors d’état de prendre par elle-même la moindre information à ce sujet, que pouvait-on attendre de la pénalité chimérique attachée conditionnellement à l’acte de libération provisoire ?

Les faits se chargèrent de répondre à cette question. Dès 1856, les enquêtes parlementaires signalaient au comité de la chambre des communes un grand nombre de récidives, dont les auteurs étaient précisément ces affranchis en faveur desquels on avait si étrangement dérogé aux conditions normales de l’ordre public. Un petit nombre d’entre eux s’étaient montrés dignes d’une confiance évidemment excessive. La majorité reprenait ses erremens anciens, et cela sans le moindre délai, sans la plus petite hésitation, mais avec plus de ménagemens, plus d’habileté, plus de calculs qu’autrefois. L’ex-voleur, par exemple, s’adonnait de préférence à la fabrication de la fausse monnaie, délit simple (misdemeanor) puni d’un emprisonnement limité. Fallait-il tirer de cet état de choses une conclusion absolument défavorable aux tickets of leave ? La police elle-même n’allait pas si loin. Par l’organe du plus compétent de ses chefs, M. Richard Mayne, elle approuvait le principe d’une libération conditionnelle et révocable ; mais elle y ajoutait, pour correctif, le contrôle assidu qu’on exercerait sur l’affranchi, expressément signalé aux autorités de la résidence par lui choisie. Ce furent à peu près les conclusions du comité de 1856, qui ajourna tout jugement définitif sur une organisation expérimentée depuis trop peu de temps pour qu’il fût possible de l’apprécier en bloc. Il réclamait l’application plus fréquente et plus sévère des révocations de licence, et voulait qu’ on prît soin de signaler à la police locale de l’endroit où ils étaient envoyés au sortir de prison l’arrivée des affranchis par ticket.

Ces prescriptions ou recommandations, imparfaitement suivies, ne parurent avoir modifié ni les tendances perverses des libérés à titre provisoire, ni l’opinion fâcheuse qu’on s’était faite de leur conduite. Aussi quelques années plus tard, certaine recrudescence étant signalée dans le nombre des crimes spécialement attribués à cette classe d’individus, une immense clameur s’éleva contre eux. Dans une pétition collective signée en 1863, il est établi que la délivrance des tickets of leave se fait sur une échelle très large. Plus de deux mille convicts sont rendus chaque année à la liberté, dont ils font un