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XVIII

La nuit était sombre, triste et froide ; l’air sentait la pluie. A ma grande surprise, je ne trouvai personne sous le chêne. Je me promenai quelque temps aux environs ; j’allai jusqu’au bois, je revins, essayant toujours de pénétrer la profondeur des ténèbres… Personne ! J’attendis assez longtemps, puis j’appelai Ellice à plusieurs reprises, élevant toujours la voix de plus en plus, mais toujours inutilement. J’étais triste, presque malade. Déjà je ne pensais plus au danger qui tout à l’heure me préoccupait. Je ne pouvais me faire à l’idée qu’Ellice ne reviendrait plus.

— Ellice ! Ellice ! viens donc ! Ne viendras-tu pas ? criai-je une dernière fois. Un corbeau, éveillé par ma voix, s’élança tout à coup de la cime d’un arbre voisin, s’agitant et battant des ailes au milieu des branchages. Ellice ne paraissait pas.

La tête baissée, je m’en retournai à la maison. J’étais déjà sur la chaussée de l’étang, et la lumière qui sortait de la fenêtre de ma chambre tantôt brillait en plein, tantôt disparaissait interceptée par le feuillage de mes pommiers. Elle me semblait l’œil d’un gardien chargé de veiller sur moi. Tout à coup une sorte de petit frôlement dans l’air se fit entendre derrière moi, et aussitôt je me sentis soulevée, absolument comme une caille est emportée, troussée par un milan. C’était Ellice. Sa joue touchait la mienne, et je sentais son bras m’enlaçant comme une chaîne froide. Elle parla, et sa voix, toujours contenue comme un petit murmure, en entrant dans mon oreille, me fit l’effet d’un souffle glacé. « C’est moi ! » disait-elle. J’éprouvais tout à la fois du plaisir et de la terreur. Nous volions à peu de distance du sol.

— Tu ne voulais donc pas venir aujourd’hui ? lui demandai-je.

— Tu en étais fâché ? Tu m’aimes donc ! Oh ! tu es à moi ! Ces derniers mots me troublèrent ; je ne savais que lui dire.

— On m’a retenue, poursuivit-elle. Ils me gardaient.

— Qui donc a le pouvoir de te retenir ?

— Ou veux-tu aller ? me demanda Ellice sans répondre plus que d’habitude à ma question.

— Porte-moi en Italie… au bord du lac… tu sais…

Elle secoua la tête d’un air résolu. En ce moment, pour la première fois, je remarquai que son visage n’était plus transparent. Je considérai ses yeux, et son regard me frappa désagréablement. Il y avait au fond de ses yeux un mouvement sinistre qui faisait penser à un serpent engourdi que le soleil commence à réchauffer.

— Ellice, m’écriai-je, qui es-tu ? Dis-le-moi, je t’en supplie.